Agata ZIELINSKI

AUJOURD'HUI, LA JOIE
CHRISTUS N°201
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Agata ZIELINSKI
Le bonheur, marronnier de nos magazines. La joie ? Silence radio, dirait-on. Quand l'actualité n'offre pas d'événements sensationnels à la lecture, quand recommencent les beaux jours et le temps des régimes amaigrissants, le bonheur, comme le matou de la chanson, revient en couverture des hebdomadaires. Symptomatique, ce retour saisonnier : Pascal — après Sénèque 1 et quelques autres — n'avait pas tort qui constatait que « tous les hommes recherchent d'être heureux » 2. Et le psalmiste : « Beaucoup demandent : Qui nous fera voir le bonheur ? » Symptomatique d'une permanence, ce retour cyclique du bonheur à la une l'est en même temps de notre échec à être heureux. Sans quoi, un bon mode d'emploi se fût vendu à quelques millions d'exemplaires, et on n'en parlait plus ! Et pourtant, si nous ne savons pas nous dire heureux, nous ne nous condamnons pas au malheur pour autant. Dans l'interstice se glisse, consolatrice, discrète ou explosive, sourire de l'ange au portail de la cathédrale de Reims ou danse de David devant l'arche, la joie. On ne dispose pas du bonheur Qu'est-ce donc qui nous retarde d'être heureux ? C'est que nous en avons une haute idée, du bonheur que nous nous souhaitons à nous-mêmes. Nous ne l'imaginons guère que parfait, donc non soumis au changement, ni aux vari...
Mots clés : Affectivité Amour Combat spirituel Corps Crainte Grâce Joie Réalité Vérité
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PARIER SUR LA VIE
CHRISTUS N°193
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Agata ZIELINSKI
Je promets. Je promets quelque chose à quelqu'un. Et dans la parole de promesse, c'est moi que je porte au-devant de ce qui est à venir. Entre aujourd'hui et demain, est à venir un temps indéterminé dont je ne sais rien, et qui pourtant est le mien. Voilà le paradoxe de la promesse : moi, ici et maintenant, qui suis gai ou qui suis triste, au soleil ou sous la pluie, je m'engage à ce que quelque chose de moi tienne dans l'avenir. Dans la parole donnée, c'est moi que je donne. Moi qui me connais si mal maintenant, moi qui ne cesse de me transformer au gré des rencontres, des circonstances dont beaucoup changent comme le ciel à l'automne, j'affirme donc que quelque chose de moi « tiendra » et ne changera pas à l'égard de quelqu'un d'autre. Moi qui « ne peux garantir aujourd'hui qui je serai demain » 1, j'affirme fermement quelque chose à propos d'un avenir pourtant incertain : « l'océan d'incertitudes » sur lequel nous voguons nous apparaît bien vaste au regard de « l'îlot de certitude » que la promesse est sensée instaurer. Car je donne ce que je n'ai pas encore, j'engage ce que je ne suis pas encore. Quelle audace alors, que de promettre ! Quelle étrange audace qui caractérise l'être humain, qui est comme sa grandeur au sein même de sa fragilité ! La part d'ombre du sujet...
Mots clés : Amour Foi Parole de Dieu Parole d’homme Promesse
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L'INQUIÉTUDE RELIGIEUSE AUJOURD'HUI
CHRISTUS N°182
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Agata ZIELINSKI
Qu'est-ce qui tient lieu d'inquiétude religieuse, aujourd'hui ? L'inquiétude religieuse traverse d'abord le croyant, lui permettant de faire, peut-être malgré lui, l'expérience de celui qui cherche Dieu loin de la foi. Dans une société qu'on ne dira jamais assez plurielle, l'inquiétude religieuse peut être d'abord une intranquillité devant les possibles — possibles de la vie qui vient pour une génération entre-deux, possibles des positions intellectuelles, des choix politiques et sociaux... A l'éclatement des possibles et à l'indétermination qui lui fait face correspondent l'éclatement des savoirs et le désarroi devant la difficulté du lien à faire. L'inquiétude religieuse au sens d'un désir secret de Dieu se tourne aujourd'hui en indétermination, parfois réjouie, parfois souffrante, devant son propre devenir. L'homme est désormais inquiet de sa propre finitude, plutôt que de l'infini de Dieu.   Le jeune homme riche On est aujourd'hui moins tourmenté par la question de Dieu comme devant un abîme que par la question de soi devant l'abîme des possibles. Observez les trentenaires, ces trentenaires indécis que vous pouvez voir au cinéma si vous ne les rencontrez pas ! Allez voir Dieu seul me voit de Bruno Podalydès, Comment je me suis disputé (m...
LE SERVITEUR INUTILE
CHRISTUS N°232
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Agata ZIELINSKI
AGATA ZIELINSKI Professeur de philosophie à la Faculté de médecine de Nancy et au Centre Sèvres à Paris, bénévole en soins palliatifs. A publié aux PUF : Lecture de Merleau-Ponty et Levinas (2002) et Levinas : la responsabilité est sans pourquoi (2004). Dernier article paru dans Christus : « Parier sur la vie » (n° 226HS, mai 2010). «Il est plus facile que l’on croit de se haïr ! La grâce est de s’oublier. Mais si tout orgueil était mort en nous, la grâce des grâces serait de s’aimer humblement soi-même… » Quelque chose de l’estime de soi se laisse peut-être deviner à travers cette célèbre finale du Journal d’un curé de campagne de Bernanos. Entre la haine de soi et l’orgueil, s’aimer humblement soi-même. Être l’ami de soi-même : telle est la définition de l’estime de soi que donne Paul Ricoeur com­mentant les belles pages d’Aristote sur l’amitié. Bernanos précise qu’il s’agit d’une grâce : c’est dire que cela se reçoit. Quant à l’oubli de soi, nous y reviendrons. S’estimer soi-même, s’aimer humblement, être l’ami de soi-même : question de justesse, de juste milieu entre des extrêmes. S’appr&ea...
Mots clés : Amitié Charité Grâce Liberté Passion Réalité Service Souffrance
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NAÎTRE FEMME, DEVENIR FEMME
CHRISTUS N°255
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Agata ZIELINSKI
« On ne naît pas femme, on le devient. » Quel sort faire à cette célèbre formule de Simone de Beauvoir dans Le deuxième sexe (1949) ? Je voudrais en proposer une interprétation libre, plus existentielle qu'anthropologique : une lecture qui ferait valoir la part de liberté et de créativité dans le « devenir femme », sans l'épuiser dans le déterminisme culturel et social que Simone de Beauvoir mettait en évidence dès 1949. Devenir femme : un rôle social Que disait Simone de Beauvoir dans ce livre qui fit grand bruit et fut une des matrices de la réflexion féministe ? « On ne naît pas femme, on le devient. Aucun destin biologique, psychique, économique ne définit la figure que revêt au sein de la société la femelle humaine ; c'est l'ensemble de la civilisation qui élabore ce produit intermédiaire entre le mâle et le castrat qu'on qualifie de féminin. »1 Simone de Beauvoir montre comment la société agit sur l'enfant pour lui faire endosser le rôle d'homme ou de femme, selon une répartition qui conforte un ordre social de domination masculine. Son ouvrage est à la fois un constat et un manifeste : constat d'une aliénation (production sociale d'une sujétion) et manifeste en faveur d'une lib&e...