En 1971, des chercheurs américains de la côte Ouest parviennent à s’envoyer le premier message par courriel d’un bout à l’autre des États-Unis. 1971 : c’est 44 ans tout juste, rien à l’échelle de l’humanité, et si peu à celle d’un homme… Lorsque l’on m’a proposé, en 2012, de m’occuper de ce que l’on appelle le « service web » de mon journal [1], sans d’ailleurs bien savoir ce que recouvre exactement cette notion de « web » [2], j’ignorais à peu près tout de ce monde mystérieux. Je suis née avant 1971, je ne suis pas de cette génération capable d’ouvrir sur leur ordinateur dix écrans en même temps et d’actionner, d’un coup de pouce d’une fraction de seconde, un portable qui s’apparente à une prothèse attachée à la main.
Comme tout un chacun, j’envoyais des courriels, j’allais voir sur Google pour trouver une référence, ou une carte géographique. Mais sans savoir qu’en faisant cela, je participais à un immense réseau, et que je produisais moi-même de l’information qui allait pouvoir ensuite être échangée, et réutilisée… À cette époque, je pensais que le monde était certes complexe, mais déchiffrable. Et que l’activité journalistique consistait à aider à ce décryptage. J’entendais bien les prévisions annonçant la fin du journal papier. Mais ce n’était, après tout, qu’une question de support, pensais-je naïvement. Je n’avais pas compris qu’internet avait fait basculer le monde de l’information et de la communication dans une nouvelle ère. Ce « voyage au pays du web » fut une expérience rude, difficile, éprouvante. Elle me fit entrevoir un univers où l’individu, fragmenté en une multitude d’identités, semble voué à faire refléter ses visages dans un miroir à l’infini. Un univers où il n’y a plus ni émetteur, ni récepteur, ni objet, ni sujet, mais simplement un « bruit » qui ne s’éteint jamais et finit par hanter les jours aussi bien