« Voici l’homme », Éditions facultés jésuites de Paris, 2006, 85 p., 35 euros (livre + CD). Yves Aubrée
Au coeur du sensible : Jean-Marie Tézé, Province de France (diffusion : Éditions facultés jésuites de Paris), 2006, 80 mn, 24 euros.


En cette année anniversaire, les éditions jésuites nous livrent deux cadeaux, et pas des moindres. Le premier est une double analyse du Miserere de Rouault et de la Via crucis de Liszt, accompagnée d’un magnifique CD, qui permet d’écouter Liszt, tout en contemplant pour la première fois l’intégralité des 58 gravures du Miserere. Le second cadeau, un DVD, est une promenade au coeur de la création artistique avec Jean-Marie Tézé, jésuite et enseignant au Centre Sèvres, où le spectateur est entraîné parmi les chefs-d’oeuvre anciens de l’art chrétien, l’art impressionniste, Cézanne, et jusque dans l’intimité de son propre atelier de sculpteur. Mais, on le devine, cette brève présentation est loin de refléter l’essentiel. Car ces deux oeuvres sont elles-mêmes créations.
Ces créations ne résident pas dans le rapprochement de deux génies, Liszt et Rouault, aussi réussi soit-il. Comme elles ne sont pas dans la remarquable mise en images de l’enseignement du P. Tézé. Ce serait en rester, d’un côté comme de l’autre, à de très belles pages d’histoire de l’art bien faites ou, au mieux, originales. Elles sont des créations, en ce qu’elles sont ajustements parfaits des références émotives, intellectuelles et spirituelles que nous portons tous en nous. Elles sont des révélations, celles « du mystère d’hommes et de femmes rencontrés sur les chemins de l’histoire, qui est le mystère même de Dieu ». Raison pour laquelle Véronique Favre, religieuse du Cénacle, et Philippe Charru, jésuite et enseignant au Centre Sèvres, ont préféré le terme croisement qui introduit le dynamisme interne d’une rencontre. Ces deux oeuvres ne sont donc pas des « illustrations ». Les auteurs nous mènent au sommet de « l’art comme lieu théologique ».
En terre ignatienne, la formule n’est pas neutre. Le subtil croisement du Miserere de Rouault et de la Via crucis de Liszt est, dans la plus grande tradition ignatienne, une « application des sens ». Pas plus que le Miserere, la Via crucis n’est un « chemin de croix » narratif. Mais, lancinante traversée de la Passion entre deux extrêmes, entre un combat violent, charnel, et la victoire salvatrice, paradoxale, divine, son chant et sa musique presque cosmiques rejoignent les ombres et les nuits des visages de Rouault, véritables « compositions de lieu », métaphores de l’appel, du péché, du dépouillement total, de l’offrande, jusqu’à l’ultime confession de foi : « Voici l’homme ! »
Et si l’on veut bien suivre Jean-Marie Tézé, on s’apercevra que c’est aussi « le sentir et goûter » ignatiens auxquels il nous convie, dans le mouvement logique et interne des Exercices. D’abord la plénitude des fresques romanes de Tavant où le corps entier sert la louange ou reçoit de plein fouet la Parole divine ; puis l’abîme du non-voir dans la nuit des mosaïques du tombeau de Galla Placidia ; la remontée au monde, « la sensation » de Cézanne, les impressions qui nous forgent, qui nous font être au monde et à la création ; enfin, l’épure des masques du P. Tézé lui-même, sur lesquels glisse la lumière, véritable métaphore, là aussi, de l’expérience spirituelle et sensible.