MAURICE BORRMANS Missionnaire d’Afrique (Père blanc), Lyon. A récemment publié au Cerf : Prophètes du dialogue islamo-chrétien : Louis Massignon, Jean- Mohamed Abd-el-Jalil, Louis Gardet, Georges C. Anawati (2009)et Louis Gardet, philosophe chrétien des cultures et témoin du dialogue islamo-chrétien (1904-1986) (2010).A par ailleurs présenté et annoté (avec F. Jacquin) l’ouvrage de Louis Massignon, Badaliya : au nom de l’autre (1947-1962) (Cerf, 2011).Dernier article paru dans Christus : « L’Église et les musulmans : depuis Vatican II » (n°214, avril 2007).

Louis Massignon (1883-1962), l’orientaliste catholique bien connu, fut un homme de science, un homme de coeur et un homme de Dieu. Ses publications universitaires 1 démontrent à souhait combien grandes étaient ses qualités intellectuelles : une discipline rigoureuse – presque ascétique – dans le travail et une curiosité scientifique presque universelle dans la recherche, avec le scrupule de l’archéologue attentif aux plus petits détails, et aussi une créativité et une imagination qui renouvelaient en lui un esprit de synthèse en continuel ressourcement. Homme de coeur, il a su maintenir et développer tant de « profondes amitiés » auxquelles il se voulut toujours fidèle : ses « correspondances » sans nombre en sont le témoignage 2. Mais sa fidélité au Dieu d’Abraham s’exprimait sur­tout envers les saints et les morts, d’où son intérêt particulier pour la mystique musulmane et son amour privilégié pour les pèleri­nages (surtout aux sanctuaires en l’honneur de Marie) et pour les cimetières « en attente de résurrection » 3. Professeur et chercheur, scientifique et mystique, chrétien et prêtre, tertiaire franciscain et animateur de la Badaliya, il a su vivre et exprimer une spiritualité de la compassion universelle en esprit de substitution sanctifiante, au nom d’une « hospitalité abrahamique » qui se doit d’accueillir plus particulièrement « ceux qui sont loin » du Christ 4.Ce faisant, Louis Massignon fut amené à renouveler le regard chrétien sur l’Islam. Ses intuitions spirituelles à caractère prophé­tique lui firent comprendre que l’apologétique musulmane « ne propose à l’homme que d’adhérer par sa raison à l’évidence de la religion naturelle […] en commandant à sa raison d’adorer le Dieu unique de la Loi naturelle, par la foi, à jamais ». Considérant que « l’Islam est presque un schisme abrahamique », il y voyait « une réponse mystérieuse de la grâce à la prière d’Abraham pour Ismaël et les Arabes », si bien que l’Islam serait ainsi une « religion natu­relle ravivée par une révélation prophétique ». D’où ce qu’il disait, en 1958, à Rose Charles-Barzel :
 
« Il faut vous souvenir que les musulmans n’ont pas encore reçu de Dieu toutes les grâces, privées ou sacramentelles, dont les chrétiens détiennent le redo...

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