Vêtir ceux qui sont nus prend alors le sens couvrir la honte de celui ou celle qui, mis à nu, perd toute dignité dans le  regard des autres. C’est un des gestes les plus élémentaires et significatifs de la miséricorde, comme lorsque « Yahvé Dieu fit à l’homme et à sa femme des tuniques de peau et les en vêtit » (Gn 3, 21), pour qu’à la suite de l’amour trahi, la honte ne les habite pas l’un devant l’autre.

Ce geste de miséricorde nous concerne personnellement, car il nous arrive à tous d’être tour à tour complices et victimes de cette mise à nu blessante de l’autre, en posant sur lui deux types de regard. Fixé sur la misère ou simplement la  différence de l’autre, il y a un regard qui l’enferme dans la honte et  lui associe des images et une réputation qui « lui collent à la peau », comme un vêtement sale et honteux, voire dangereux ou contagieux. Publicains et proscrits d’aujourd’hui désignés par leur image négative, leur échec ou leur mal. Nous-mêmes avons pu en être les victimes parfois.
Mais il y a aussi le regard qui stigmatise l’autre aux yeux de l’opinion en tournant en dérision ce qui a pour lui plus de prix, ce qui fonde à ses yeux sa vie et le sens de son existence : sa religion, ses valeurs, ses racines. Une manière de l’exclure de toute forme de débat public en l’enfermant dans un mauvais rire social souvent bien étriqué.

Dans une société de la transparence, vêtir celui qui est nu invite peut-être aussi  à tendre la main, au-delà des images et des caricatures blessantes qui déshumanisent et violent toute pudeur. C’est voir en celui ou celle qui en est l’objet,  le Christ nu de la Passion, qui n’est plus rien d’autre au regard des hommes qu’une somme d’insultes et de violences. Le rejoindre là tisse un lien qui  libère de la honte et la recouvre. Car, donné ou reçu, l’amour seul, aux yeux de Dieu,  revêt de dignité celui que le regard des autres déshabille. « Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens c’est à moi que vous l’avez fait ». Le Fils de Dieu dans sa nudité humaine est déjà le Fils de l’Homme dans sa gloire qui nous prend avec lui.

Ps : A ce sujet nous vous recommandons le livre d’Anne Lécu  « Tu as couvert ma honte » tout juste paru aux éditions du Cerf.