De victime à témoin. Le titre choisi par la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (Ciase) pour le recueil des paroles des victimes dit un renversement de perspective qui tient à la priorité donnée à la victime sur l'agresseur : la victime devient témoin non seulement du mal qu'elle a subi – de la part de l'agresseur et de celle de responsables institutionnels qui ont imposé le silence – mais aussi des conséquences de ce mal et enfin de ce qui l'aide à se relever et avancer. De victime à témoin et de témoin à actrice : elle contribue ainsi aux réformes systémiques qui s'imposent. La Commission reconnaissance et réparation (CRR) et l'Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (Inirr) s'inscrivent dans ce processus, tout comme les groupes de travail créés après la Ciase.

Les rites façonnent l'Église : en quoi le fait de donner la priorité à la victime interroge-t-il ces rites, en particulier le sacrement de « la pénitence et la réconciliation »1 ? Pour bien saisir le renversement auquel nous sommes convoqués, il nous faudra d'abord revenir sur la longue tradition qui met l'agresseur au cœur de la question du pardon. Ensuite, l'écoute des évangiles nous permettra de retrouver le sens originel du pardon. Nous pourrons alors reconnaître qu'il est déjà à l'œuvre dans le monde, notamment dans la justice restaurative, ce qui nous permettra en retour d'interroger nos rites.

Se décentrer du coupable

Qu'entendons-nous par « pardon » ? Pour répondre à cette question, il nous faut distinguer les points de vue, très différents, de la personne qui pardonne et de celle qui demande le pardon. Le philosophe Paul Ricœur s'est interrogé sur le pardon dès ses premiers travaux sur la volonté2, jusqu'au fameux épilogue de La mémoire, l'histoire, l'oubli3, « Le pardon difficile ». La définition la plus aboutie qu'il donne du pardon est la capacité de séparer le sujet de ses actes mauvais et de le relier à une bonté originelle. Reliée à cette bonté, la personne peut prendre distance avec le mal qu'elle a