L’expérience intérieure du soi ou d’un corps n’est achevée jusqu’au bout que lorsqu’elle et devenue "chose" mise à la portée de n’importe qui, que lorsqu’elle est devenue cette "chose spirituelle" étonnante : un livre. Ce que nous venons d’établir […] nous est suggéré en pleine expérience par les dernières pages de l’Autobiographie. Gonçalves de Câmara voulait savoir comment le pèlerin avait composé les Exercices et les Constitutions.

"Il me répondit au sujet des Exercices qu’il ne les avait pas rédigés d’un seul coup. Toutes les fois qu’il observait dans son âme des choses qu’il trouvait utiles et qui lui semblaient pouvoir être aussi utiles aux autres, il les consignait par écrit, par exemple comment faire son examen de conscience au moyen des lignes, etc."

De quoi est-il question ? Dans le cas de l’un et l’autre ouvrage, cela est dit nommément, il est question du curieux et impressionnant passage, vécu et mené par Ignace, de l’expérience à l’expression. Les expériences peuvent être fondamentalement diverses, focalisées soit sur la maturation d’un sujet, soir sur l’organisation d’une communauté. […] Il y a d’abord, pour lui-même ou avec le groupe des premiers compagnons, la détection d’une chose utile ; puis vient tout un mouvement intense des esprits, se développant en un jeu contrasté de visions et de larmes, par lequel Ignace universalise l’intuition première et « vient en confirmation » que celle-ci est vraiment "utile pour d’autres"…

 

Dominique Bertrand, Un corps pour l’Esprit. Essai sur l’expérience
communautaire selon les Constitutions de la Compagnie de Jésus,
DDB, collection « Christus », n° 38, 1974, pp. 33-36.