Le développement rapide de l'urbanisation à l'échelle planétaire transforme notre conception de la ville. Éclairons cette mutation indissociable d'une disjonction entre « l'urbanisation » contemporaine et « l'urbanité ».

« Ce n'est donc pas de façon métaphorique qu'on a le droit de comparer une ville à une symphonie ou à un poème ; ce sont des objets de même nature. Plus précieuse peut-être encore, la ville se situe au confluent de la nature et de l'artifice. Elle est à la fois objet de nature et sujet de culture ; individu et groupe ; vécue et rêvée ; la chose humaine par excellence. »
Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques

Il y a déjà longtemps que l'historienne de l'urbanisme Françoise Choay a déclaré, dans un article devenu une référence1, que le recours à la notion de ville n'était plus du tout une évidence. En effet, le développement rapide de l'urbanisation à l'échelle planétaire et la vitesse accrue des flux migratoires alors même que l'on assiste à la dernière génération de l'exode rural, celle qui monte de la campagne à la ville en Asie du Sud-Est et en Afrique, transforment notre conception de la ville et le regard que nous pouvons porter sur elle. Le texte qui suit a pour but d'éclairer cette mutation qui est indissociable d'une disjonction entre « l'urbanisation » contemporaine, qui n'est certes pas réductible à un scénario unique, et « l'urbanité » qui renvoie à des valeurs que l'histoire de la vie européenne a placées dans la vie urbaine, dans les mœurs et les pratiques qu'elle rend possible. Dans cette optique, nous reviendrons sur cette vision classique de l'urbain pour nous interroger ensuite sur la possibilité de réinventer aujourd'hui une urbanité qui fait dramatiquement défaut.

La condition urbaine

Parler de « condition urbaine » dans le cas de l'histoire de la ville européenne exige de prendre en compte le caractère multidimensionnel de l'invention urbaine depuis la fin du Moyen Âge. Ce qu'on appelle l'urbs dans le sillage de la tradition romaine va progressivement désigner une