La morale est assez généralement conçue comme une exigence de conformité. Le niveau peut être plus ou moins haut : vouloir se rendre conforme à un idéal de sainteté demande un peu plus que s'en tenir au minimum de conformisme social exigé pour éviter les poursuites judiciaires ! Mais, à travers ces différences si importantes, peut demeurer un certain style, que désigne le mot « conformité ».

On peut imaginer d'autres styles. Que devient la morale, par exemple, si l'accent y est mis non sur l'exigence d'être conforme, mais sur la fécondité ?

Une morale de l'exigence ou de la fécondité ?

On peut en suggérer quelque chose en comparant le bureaucrate et l'artiste. La comparaison sera forcée, j'en conviens : on peut l'accuser d'injustice… De toute façon, comparaison n'est pas raison. Qu'elle soit donc prise avec humour, comme un moyen un peu facile de faire percevoir la différence entre les deux styles.

Si j'ai à faire une tâche « bureaucratique » (et au sens plutôt péjoratif du terme), qu'est-ce qui m'est demandé ? Comment puis-je correctement l'accomplir ? Cela s'indique par la tâche même. Elle veut que je sois ponctuel, régulier, constant : arriver et partir à l'heure, m'appliquer. Surtout pas de zèle. L'invention, la fantaisie, l'idée qu'on pourrait faire autrement : fâcheux, très fâcheux. Il convient de remplir le programme, ni plus, ni moins. Soumission, bien sûr, aux ordres d'en haut : il ne convient même pas qu'elle soit trop intelligente. Par-dessus tout, par-dessus les chefs même : le règlement, la sécurité et la charge tout à la fois. Investissement modéré : on n'attend pas d'un bureaucrate qu'il se passionne ; sauf au cas, bien sûr, où la bureaucratie serait tout entière menacée.

Soit, maintenant, ce qu'on nomme un « artiste », c'est-à-dire un homme passionnément engagé en l'œuvre qu'il a à faire, et qui s'impose à lui comme ce qu'il doit mettre au monde, quoi qu'il en coûte (et il y a des artistes en toutes sortes de genres, pas seulement en ce qui s'appelle « art »). Que veut donc l'œuvre ? Que j'y sois donné. Mais, pourtant, je ne la maîtrise pas. Elle va comme elle va, selon un cheminement, une germination, qui sont bien ce que j'ai de plus personnel (quoi de plus « personnel » que l'œuvre d'art véritable ?) et qui toutefois m'échappent.

Le temps, je n'en suis pas maître. Il y a certes divers genres : il y a ceux qui paressent ou travaillent par à-coups et ceux qui s'y mettent tous les matins ; mais ceux-là eux-mêmes peuvent connaître de longues périodes de sécheresse, de « vasouillage ». Le temps n'est pas égal. Il arrive qu'après coup, les moments creux, où l'on n'a « rien fait », s'avèrent les plus féconds. Il n'y a pas de lois. Oh, bien sûr, si ! depuis les grandes exigences d'honnêteté ou de persévérance jusqu'aux lois techniques, qu'imposent par exemple la matière à travailler, l'outil, le