Dans la mer il y a des crocodiles - l'histoire vraie d'Enaiatollah Akbari, est le récit d'un jeune Afghan hazara, une ethnie haïe des Pachtounes comme des Talibans qui étonne par la persévérance et la résistance dont il fait preuve. Âgé de 10 ans peut-être, il est emmené et laissé seul par sa mère au Pakistan d'où il finira par gagner l'Iran, puis la Turquie, la Grèce et enfin l’Italie.
Ni l'exploitation des hommes, ni les répressions policières, ni la corruption des trafiquants n'entament sa détermination et ne l'obligent à renoncer. Son parcours va durer des années, à travailler sur des chantiers dans des conditions inimaginables, à passer les frontières dans des dangers extrêmes où d'autres à chaque fois trouveront la mort. Parfois le hasard, parfois la chance qu'il semble forcer par sa débrouillardise et sa ténacité finissent par le conduire jusqu'à l'Europe rêvée. À Rome, il est accompagné par une famille d'accueil ; il reprend le chemin de l’école et entreprend un autre parcours pour obtenir le statut de réfugié politique. C'est alors seulement qu'il cherche à contacter sa mère qu'il n'a pas entendue depuis huit ans. Au journaliste qui lui demande comment on fait pour changer ainsi de vie, Enaiat répond : "L'espoir d'une vie meilleure est plus fort que tout autre sentiment". Au-delà de tout ce qui dans ce récit creuse l'indignation, une admiration demeure devant la conscience de soi d’un être si jeune et devant son grand espoir de vivre décemment. Son témoignage parle pour tant d'autres et ne peut laisser indifférent.
 
Dans Ces exils que je soigne – La migration d'un enfant de Kabylie, Taïeb Ferradji, médecin psychiatre prend le temps de raconter son enfance et de retracer son histoire. Il grandit dans un village de montagne de Haute Kabylie à la fin des années 60. Les conditions de vie sont rudes, la culture orale et les mœurs traditionnelles garantissent un ordre immuable. Il a tout juste 6 ans quand il quitte la sécurité de cet environnement pour se rendre, comme ses frères aînés à l'école située à une heure de marche. Ces parents ne savent ni lire ni écrire mais il savent qu’"il faut réussir pour avoir une autre vie". Tout le parcours de l'auteur montre cet écart, irréversible et souhaité, qui ira en s'accroissant et le dilemme qui est celui des migrants : l'impératif de la réussite, et le sentiment que réussir c'est aussi trahir. "Comment rompre avec l'ancêtre sans le trahir est la question fondamentale à laquelle chacun doit trouver une réponse personnelle en cohérence avec la survie du groupe et le maintien des liens." Après ses études de médecine et le choix de la psychiatrie, Taïeb Ferradji se heurte en France aux résistances implicites, personnelles ou institutionnelles qui, malgré ses diplômes et derrière une attitude souvent bienveillante, retardent sa carrière et une véritable reconnaissance. Avec sobriété, il raconte ce parcours qui l'a amené à écouter aujourd'hui ceux qui souffrent d'être entre deux cultures aux codes et aux injonctions souvent difficiles à concilier ; son récit peut les aider à trouver leur place.

Natalie Héron