De ce vingtième siècle si inventif, mais si ensanglanté de guerres et de révolutions sociales, de ce « temps de haine, temps de la douleur, de la douleur infligée par la haine », comme le criait Raïssa Maritain en 1945 1, l'historien doit aussi relever la richesse de sa recherche de Dieu. Il tentera de la saisir sous sa forme à la fois concrète et profonde, celle de la prière.
Le grand orientaliste Louis Massignon (1883-1962) a noté le poids, dès les premières années du siècle, de Léon Bloy, Joris-Karl Huysmans et Charles de Foucauld, « ces hommes de prière et de désir qui ont paru au seuil de cette génération » 2. Claudel pouvait se compter parmi « ce grand nombre de poètes chrétiens que nous voyons fleurir, en ce moment, autour de nous » 3. N'avait-il pas, dès 1909, encouragé la création, autour de dom Michel Caillava, d'une « coopérative de prières », que Massignon s'attachait encore, en 1950, à reconstituer ?
De ces eaux profondes de l'histoire religieuse du siècle écoulé en France, on ne peut, dans ces quelques pages, donner une vue d'ensemble qui pourrait remplir un volume. On se bornera à parcourir des écrits qui ont traité explicitement de la prière, laissant de côté le contenu des nombreuses œuvres littéraires qui en offrent les expressions multiples ; on tentera d'esquisser son évolution, de part et d'autre du Concile, en s'appliquant à en discerner « les degrés », pour reprendre le titre du célèbre ouvrage du chanoine Saudreau, en 1896. Enfin, on suivra un fil conducteur qui semble bien dominer cette histoire, celui de la fécondité paradoxale du témoignage hors normes de Charles de Foucauld, dit « Charles de Jésus ». Jacques Maritain devait confirmer par son engagement personnel parmi les Petits Frères de Jésus ce qu'il avait écrit à ce sujet en juillet 1951 : en dépit de son isolement en plein Sahara, « [Foucauld] a partout rendu manifestes (...) les fruits de cette ardente prédication silencieuse » 4.

De Massignon à Voillaume


On sait comment Massignon, dans l'hommage qu'il rendit à Foucauld en Sorbonne, le 18 mars 1959 5, a relaté le choc que lui donna la nouvelle reçue le 17 janvier 1917, sur le front des Dardanelles, du drame de l'assassinat de Foucauld, le 1er décembre précédent : « Haussé au-dessus de moi, je monte, saisi d'une joie sacrée, sur le parapet de la tranchée enneigée : il a trouvé le passage, il est arrivé (...). Par un échange étrange, il est tué, et moi, protégé. » Dans cet « échange », on a vu le germe de cette prière de « substitution », dont la mort de Foucauld donnait le premier exemple, offrande pour le salut des âmes touarègues. Se considérant comme légataire de l’œuvre de Charles de Foucauld, Massignon entreprit, pour sa part, de pressentir l'académicien René Bazin en vue de la faire connaître à un vaste public ; il s'employa, avec l'aide de l'abbé Daniel Fontaine, à faire aboutir cette « Union de prières » qui avait été l'ultime projet du solitaire de Tamanrasset.
Du succès de la biographie qui parut en septembre 1921, et notamment parmi les