Le pardon sans limite de Dieu dépend-il de notre capacité à pardonner ? N'est-ce pas ce que la formule « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés » laisse entendre ? Ce commentaire du Notre Père lève la suspicion d'un pardon qui serait accordé sous condition.

Les Écritures poussent souvent à penser à partir d'un paradoxe. Jésus mourant en croix s'écrie : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font » (Lc 23, 34). Une demande si inadmissible humainement que les plus anciens manuscrits l'omettent. Elle montre cependant que le pardon est remis entre les mains du Père : Dieu seul peut pardonner l'impardonnable, Dieu seul est maître du pardon.

Pourtant, le Nouveau Testament résonne d'appels répétés au pardon entre êtres humains ; et, à plusieurs reprises, les évangiles synoptiques semblent même subordonner le pardon de Dieu à la démarche humaine de pardon aux ennemis : « Quand vous êtes debout en prière, si vous avez quelque chose contre quelqu'un, pardonnez pour que votre Père qui est aux cieux vous pardonne aussi vos fautes » (Mc 11, 25). Une condition terrible, certainement ressentie comme trop grande, si bien qu'à nouveau plusieurs manuscrits suppriment le verset suivant : « Mais si vous ne pardonnez pas, votre Père céleste ne vous pardonnera pas non plus vos fautes » (Mc 11, 26).

Comment ne pas rappeler alors que, depuis près de deux mille ans, les chrétiens récitent, comme l'expression première de leur foi commune, la prière que Jésus a enseignée à ses disciples : le Notre Père. Tous, et partout dans le monde, nous le récitons sous sa forme matthéenne. Mais, alors, nous devrions dire : « Pardonne-nous nos offenses, comme nous avons pardonné aussi à nos offenseurs » (Mt 6, 12). Or, la traduction en français gomme ou atténue la formulation difficile et choisit exceptionnellement la formulation plus faible de Luc 11, 4 : « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi. »

Le texte résiste, mais notre foi aussi : comment prendre au sérieux cette exigence inouïe qui sonne comme une condition, sinon trop souvent comme une condamnation ? Faut-il d'abord pardonner à ceux qui nous ont fait du mal si nous voulons recevoir le pardon de Dieu ? Est-ce possible ? Est-ce même envisageable ? La question requiert une lecture attentive, à nouveaux frais, de la prière du Notre Père, en interrogeant le texte de Matthieu, sans oublier le parallèle plus court, et bien peu connu, de Luc.

De la prière de Jésus à celle d...

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