Je voudrais ici aborder l'étude d'une étrange « maladie » qui peut atteindre l'institution. On peut la décrire ainsi : l'institution y va à contresens de ce qu'elle prétend faire, de ce qu'elle prétend être ; et non pas du tout par décisions ou perversions conscientes et voulues, mais par une sorte de pente irrésistible, au point que même les efforts pour remonter la pente peuvent être entraînés dans la maladie. Bref, c'est pour l'institution une sorte d'inversion inconsciente de signification (indications encore abstraites : nous en verrons tout à l'heure la portée pratique).

Quand je dis « institution », c'est d'abord d'institution d'Église que je parle. Et c'est aux problèmes du christianisme et des chrétiens que je penserai en cet article : j'y trouverai mes exemples. Toutefois, cette « maladie » ne me paraît pas être le triste privilège de l'Église : je la vois s'exercer ailleurs, spécialement partout où l'institution a de grandes ambitions, comme de libérer l'homme, servir la vérité, aller dans le sens de l'histoire, etc. Qu'on ne voie donc pas en ce qui suit une condamnation (une de plus !) de l'institution ecclésiale. Comme on dit, « ce n'est pas le problème ». Il s'agit plutôt de diagnostiquer un mal qui peut l'atteindre.

Diagnostiquer et analyser : car il me paraît insuffisant et trop facile de dénoncer. Bien sûr, dans les limites d'un article, l'analyse restera, d'une part, sommaire, plutôt esquissée que réellement pratiquée. D'autre part, la complexité de l'affaire, la sécheresse propre à l'analyse peuvent rendre mes propos un peu rebutants. Mais ceux qui perçoivent ce qu'est la « maladie » en cause et sa gravité passeront peut-être par-dessus ces inconvénients.

Les symptômes

Tâchons de découvrir pas à pas ce qui est en cause, en commençant par les symptômes. Nous en retiendrons quatre.

1) C'est l'hostilité ou le dégoût apparemment inexplicables envers l'institution. On voit aujourd'hui des hommes et des femmes qui, en nombre appréciable, « partent » de l'institution, tantôt en claquant la porte, tantôt sur la pointe des pieds. Ce peut être par une hostilité décidée ou par indifférence. Mais le cas qui nous occupe est différent : car le rejet ou l'abandon y sont le fait de gens que leurs convictions, leur personnalité, leur histoire devraient porter à rester en l'institution. Non passivement et par faiblesse, mais au contraire parce qu'ils semblent capables de surmonter les déceptions, de ne pas se scandaliser des misères de l'Église, de trouver chemin pour une réforme. Leur découragement a quelque chose de surprenant. « Pas un tel », pense-t-on, « à son âge, dans sa position, avec ce qu'il a fait, avec ses idées ». Mais si, justement, « un tel ».

2) C'est l'impuissance, également « anormale », de l'institution et des hommes qui la servent à résoudre, et même à reconnaître, les difficultés qui pourtant sont là. C'est le retard, quelquefois catastrophique, à affronter la situation. Anormal en quoi ? En ce que, d'une part, l'institution semble porter en elle de quoi éviter ces malheurs, quand ce ne serait, pour commencer, que par sa référence nécessaire à l'Évangile ! En ce que, d'autre part, les hommes en cause (spécialement ceux chargés de responsabilité, d'autorité) peuvent être pleins de bonne volonté, dévoués, lucides même, et pourtant demeurer en l'impuissance.

3) C'est encore l'aveuglement, vraiment déconcertant, des membres de l'institution. Pas seulement au sommet ou à mi-pente de la