Mes visiteurs peuvent se faire entendre de moi en français, en anglais et en douala. Leurs premiers mots sont presque toujours les mêmes. Je les attends, je pourrais les prononcer en même temps qu'eux : « Nous sommes dépassés. C'est trop ! » Deux personnes sur trois commencent ainsi. Cela veut dire que leur malheur dépasse les bornes du tolérable. Et pourtant, la frontière du supportable est placée loin pour cette population habituée à endurer le « plus pire », comme on dit id. Souvent, ils ajoutent : « On préfère venir vous voir plutôt que d'aller chez un charlatan ! » Collective par le sens, la phrase peut être prononcée par une personne seule, tant sa famille est présente en sa tête et en sa chair. Si mes visiteurs sont plusieurs, il s'agit le plus souvent de membres de la même branche, côté époux ou côté épouse. Assez rare, le cas où le mari et la femme viennent ensemble, sauf quand il s'agit d'une famille très chrétienne. C'est que la cause du malheur est imputée comme naturellement — ou plutôt culturellement — à l'un des partis, la faille familiale se trouvant à l'interstice des deux branches parentales. J'entends une question presque jamais formulée : « Pourquoi nous ? Qui donc nous en veut ?» Je l'entends, mais je n'y réponds pas d'emblée.
Eux et moi
Venir me voir ? Pourquoi moi ? Un prêtre catholique, et « blanc » de surcroît ! Double paradoxe. Les chrétiens, qui forment la majorité de mes visiteurs, n'avaient pas le droit de consulter un devin de...
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