La Samaritaine a donné à boire à Jésus. Le regard qu’elle portait sur sa vie en fut transformé, au point d’y trouver un fondement et un dynamisme nouveaux. Comme quelqu’un qui, sortant d’un long sommeil, ou d’une addiction peut-être, retrouve goût et fraicheur à la vie. La pratique de la miséricorde nous rend au désir qui nous donne la vie comme au premier jour et permet de la regarder telle qu’on la reçoit : un don. Le fils du prodigue (Lc 15) découvre dans l’attente et l’accueil du père que son désir de  bonheur et de liberté ne peut s’accomplir dans le rejet de sa filiation, mais s’engendre de celui qui le cherche au-delà de toute séparation. Jésus-Christ appelle miséricorde ce goût de l’autre qui passe tout ce qui s’y oppose.

C’est pourquoi les œuvres de miséricorde ne consistent pas à assurer les conditions d’un sauvetage d’urgence tout à fait nécessaire, que d’heureuses organisations maintiennent généreusement aujourd’hui : repas, boisson, vêtement,… avec au besoin l’appui de l’Évangile : « J’avais faim, j’avais soif, vous m’avez donné à manger, à boire,… ». L’autre ne vivrait que de notre aumône et de notre superflu. Pratiquer la miséricorde, c’est être en attente de l’autre,  c’est le rejoindre dans son manque pour aider et construire avec lui les moyens nouveaux de notre dignité mutuelle. A l’image du prodigue et de son père, c’est tisser ou réparer  un lien social vital qui donne corps à une soif de bonheur reconnu et partagé. Ce qu’évoquent davantage les trois autres attitudes de miséricorde citées dans l’Évangile : « visiter, accueillir, libérer… ».

Donner à boire à celui qui, assoiffé, prend la place de Jésus au puits de Jacob, c’est se laisser toucher par ceux qui n’ont rien d’autre à partager que leur désir de vivre. Le goût de l’autre ravive le sens d’une solidarité qui nous a construits collectivement, en triomphant des forces narcissiques qui menacent constamment de nous enfermer dans une mort confortable mais inéluctable.

Au moment où l’Europe se défait dans son refus d’accueillir quelques dizaines de milliers de migrants, l’Evangile fait entendre un message fort, une promesse.