Qu'est-ce qui caractérise une conversation comme spirituelle ? À notre époque où la parole est quelque peu en souffrance, parfois émoussée ou mise au service de combats iniques, et en ces temps où le terme « spirituel » est si largement employé mais a perdu de son sens ou a fourni un appui à des abus, il est nécessaire de préciser ce que peut être une conversation spirituelle.

Si la conversation, depuis Montaigne, est devenue un art dont le XVIIe siècle a cultivé la portée sociale, elle a marqué dès ses débuts la tradition spirituelle chrétienne, lorsque les moines du désert venaient interroger un ancien en lui demandant « une parole ». La conversation spirituelle, que pratiquait et recommandait Ignace de Loyola et dont il avait, dit-on, le charisme, a retenu l'attention de Thérèse d'Avila, de François de Sales, de Louis Lallemant… L'Évangile n'est-il pas tissé de ces conversations de Jésus avec ceux qu'il rencontre ? Entretien bref, à deux ou avec plusieurs interlocuteurs, sans plan préétabli, « conversation dispersée », « spontanée et abandonnée aux hasards des inspirations divines1 », à même la vie quotidienne qui la marque de familiarité, la conversation se distingue de l'accompagnement spirituel. Et elle ne suppose ni le caractère électif, ni la durée d'une amitié. Qu'est-ce qui la caractérise comme « spirituelle » ?

La question est d'importance aujourd'hui où la parole est quelque peu en souffrance : médiatisée lorsqu'elle est publique, particulièrement en politique, elle se fait souvent combative, visant à prendre l'avantage sur l'autre en pointant ses failles et en recourant à la séduction. La communication digitale valorise le « contact » par le fil plus que par une parole incarnée propice à un véritable échange. La parole ecclésiale, usée par l'habitude ou émoussée par l'institution, peine souvent à avoir quelque relief ou verdeur évangélique... Quant au qualificatif « spirituel », il est devenu tellement large et son emploi si généralisé que son sens se dilue. En outre, la révélation massive des abus dans l'Église a fait prendre conscience de tout ce qu'un usage pervers de ce terme a pu couvrir d'horreurs et de crimes. Ajoutons que nous ne pouvons faire abstraction d'un contexte où Dieu est, pour la plupart de nos contemporains, « indécidable », « incroyable », « insupportable »,