Bien au-delà des grisailles d’une vie bourgeoise souvent casanière et d’un esprit habile à se torturer, le livre de Marie Noël et le commentaire éclairant autant qu’inspiré de Jeanne-Marie Baude disent le courage et l’art de traverser les déserts du doute et de la désolation sans rien renier de sa foi. Ils exaltent aussi sans bravade inutile la vertu d’insoumission nécessaire à toute écoute vraiment vivante de Dieu. Il s’agit de faire droit à la coïncidence de l’amour de Dieu et de l’amour de la vie en nous, à l’enfant qui a faim de recevoir tout de suite sa nourriture du Christ et soif de se donner à lui tout de suite pour faire avec lui un seul et unique Pain de joie et de vie.
Nous publions ici un extrait de ce très bel ouvrage :
 
« Elle [Marie Noël] n’a pas seulement communié chaque jour à la condamnation et à la mort du Christ, mais à une présence nourricière et génératrice de vie, à laquelle elle rend ainsi grâces de tout son être : « Ô cher Christ ! chère Hostie ! Cher Pain de Dieu ! quel autre bien ai-je eu que Vous ? » (p.127) La même année 1933, pour commémorer la Fête-Dieu, elle fait ce qu’elle appelle un acte de gloire humaine, en célébrant la faim d’absolu de l’homme, si démesurée que « le Dieu imprudent, qui l’a créée telle – trop grande – n’a plus d’autre ressource, aujourd’hui, que de se jeter Lui-même en pâture à cette faim sans bornes. » (p.148).
Dans une note qui figure sur la même page, elle écrit également une manière de «composition de lieu » selon la méthode ignatienne : elle imagine Madeleine entrant dans une maison étrangère et se jetant au pied du Christ ; elle se voit, quant à elle, le suivant de loin, et se réjouit de le retrouver proche, caché dans l’hostie : « Ainsi, je puis aller à Lui. J’aurais eu peur de l’Homme. Je n’ai pas peur du Pain. »
 
Cette confiance dans le Pain est d’autant plus profonde que, dès les années 1920, Marie Noël a découvert dans l’eucharistie, geste suprême d’amour, le signe de l’unité entre le Dieu Créateur et le Rédempteur, unité dont elle éprouve un si grand besoin :

 " L’Amour-Dieu transfigure la Loi créatrice de Dieu. Il trouve son bonheur à être mangé. Et peut-être, au commencement, chaque être, animal ou plante, se donnait à l’autre, dans la joie. Ainsi s’accomplissait - en Une - la double loi de Dieu.

  "Mange – Aime
. " "[p.32-33]
 
 
In Marie Noël, Notes intimes, lues par Jeanne-Marie Baude, Le Cerf, collection de l’Abeille, 2013, pp.138-139