Dans quelques jours, l’Église va déclarer bienheureux les dix-neuf religieux et religieuses assassinés avec des milliers de leur frères et sœurs algériens pendant la décennie terrible qui a ensanglanté le pays. Martyrs de l’amour, martyrs de la foi, martyrs de la fraternité… voici les mots qui courent dans les pages des articles et des livres qui leur sont consacrés ces temps-ci. Ils sont morts au nom de leur foi chrétienne, donc en martyrs, c’est indiscutable. Or cette idée seule peut faire barrage à notre bonne volonté. En effet, ce grand mot de « martyr » tend à rajouter à l’auréole des saints une dimension héroïque qui nous exonère finalement de considérer en quoi ces vies données sont des exemples pour nous qui ne sommes pas appelés à mourir ainsi.

Commençons par nous poser la question : ceux qui seront bientôt reconnus officiellement comme bienheureux, ont-ils vraiment été appelés par le Seigneur à mourir en martyrs ? Non, je ne crois pas ! Je crois au contraire que l’appel auquel ils ont répondu n’était pas à mourir mais bien à vivre, et à vivre pleinement, et jusqu’au bout. Si la foi que nous confessons disait le contraire, elle serait morbide ! En quoi ces vies données sont-elles exemplaires ? Elles le sont parce qu’elles témoignent (« témoin » est le tout premier sens du mot martus en grec) du désir de répondre à l’appel à suivre le Christ. Or, pour les êtres faits de chair et d’os que les futurs bienheureux étaient, la suite du Christ devaient bien s’enraciner quelque part, sur une terre. Là, ils ont osé l’amitié, la fidélité aux visages, aux paysages, bref à un pays avec ses beautés et ses défigurations. Ainsi, parce qu’ils s’abreuvaient à un amour concret et bien réel, source de leur joie, quand la suggestion leur fut faite de fuir, elle ne trouva dans ces cœurs apaisés aucun écho. Voilà l’exemple qui nous a été donné : celui d’une capacité à dire « ce lieu où j’agis aujourd’hui, malgré le poids des peines qu’il fait porter, est le lieu où je veux vivre. Je ne veux pas être ailleurs, car c’est là, dans les centaines de liens noués, qu’est le Seigneur pour moi et c’est là que j’accepte de mourir, en priant que ma présence permette à d’autres de naître ici et d’y vivre également. »

Pierre, Christian, Caridad, Esther et les autres ne sont pas restés en Algérie parce qu’ils étaient des héros ou des héroïnes, porté·es par une force hors du commun, mais tout simplement parce qu’ils étaient là où ils avaient choisi d’être, avec les hommes et les femmes qui étaient devenus leurs amis. Les saints ne sont pas des héros, ce sont des personnes ordinaires, comme vous et moi, qui ont juste trouvé une « maison » et qui ont décidé d’y « habiter » pour de bon. C’est, ni plus ni moins, le choix que nous sommes appelés à faire et à refaire sans cesse dans nos vies de famille, en couple, au travail, dans certains de nos engagements : trouver notre lieu et nous y tenir. Humblement, fidèlement.