Tous frères ? L’idée est belle, car elle suggère une grande proximité de chacun à tous les autres, l’existence d’un lien au nom duquel pourront être remises en cause barrières, frontières, inégalités, conditions de vie indignes, oppressions, etc. N’est-ce pas précisément ce qui a inspiré les rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, lorsqu’ils écrivent dans le premier article : « Tous les êtres humains […] doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité » ? Mais une telle fraternité sans rivage, déclarative, n’est-elle pas condamnée à demeurer à l’état gazeux ? Autrement dit, à ne jamais pouvoir acquérir une consistance qui la rendrait capable de mettre en cause l’organisation de la vie en société ?

D’un autre côté, on peut estimer que le phénomène de mondialisation entraîne une sensibilité plus vive aux lointains, obligeant ainsi les politiques à en tenir compte. De fait, les nouveaux moyens de communication modifient profondément la conscience que nous avons du sort des autres, nous les rendant beaucoup plus proches. Les nouvelles de catastrophes ou de violences advenues à l’autre bout du monde ne nous rejoignent-elles pas jusque chez nous, réveillant sans cesse l’attention ? Mais des analyses précises montrent que lorsque le spectacle de la souffrance de l’autre n’est pas repris par une parole qui engage, il produit en réalité un effet anesthésiant et installe dans le doute sur la possibilité même d’un agir qui transforme la réalité.
Pourquoi la simple déclaration de fraternité est-elle impuissante à nous rapprocher les uns des autres ? L’hypothèse que j’avancerai pour répondre à cette question est celle d’une ingénuité par rapport à quelques ressorts – extrêmement puissants et peu visibles – qui