D’un autre côté, on peut estimer que le phénomène de mondialisation entraîne une sensibilité plus vive aux lointains, obligeant ainsi les politiques à en tenir compte. De fait, les nouveaux moyens de communication modifient profondément la conscience que nous avons du sort des autres, nous les rendant beaucoup plus proches. Les nouvelles de catastrophes ou de violences advenues à l’autre bout du monde ne nous rejoignent-elles pas jusque chez nous, réveillant sans cesse l’attention ? Mais des analyses précises montrent que lorsque le spectacle de la souffrance de l’autre n’est pas repris par une parole qui engage, il produit en réalité un effet anesthésiant et installe dans le doute sur la possibilité même d’un agir qui transforme la réalité.
Pourquoi la simple déclaration de fraternité est-elle impuissante à nous rapprocher les uns des autres ? L’hypothèse que j’avancerai pour répondre à cette question est celle d’une ingénuité par rapport à quelques ressorts – extrêmement puissants et peu visibles – qui dictent en partie nos comportements. Je m’appuierai principalement ici sur la réflexion de l’écrivain bulgare Elias Canetti dans Masse et puissance. Or la tradition biblique, à travers la manière dont elle pose la question de la fraternité, montre qu’elle cherche et trouve des voies pour mettre en cause ces réflexes profondément inscrits en nous ; ce faisant, elle ouvre un chemin vers une fraternité ouverte à tous. Mais la percée décisive en la matière est opérée par la figure du Christ, qui transforme profondément les rapports au frère parce qu’elle associe étroitement la vie en Dieu à la relation à l’autre, en commençant par les plus méprisés des hommes.
La fraternité, un effet de masse ?
Si l’on en croit Elias Canetti, les êtres humains se rapporteraient les uns aux autres selon deux grands registres dans lesquels nous passerions alternativement. D’un côté, l’individu, toujours soucieux de ce qui le distingue des autres et qui, pour cela, prend soin de marquer ses distances : « L’homme occupe une place déterminée et sûre et, affirmant son droit à grands gestes efficaces, il écarte de lui tout ce qui lui vient trop près. Il s’y dresse comme un moulin à ven...
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