Le Dieu de la Bible est un Dieu qui se souvient des hommes. Depuis l’alliance immémoriale conclue avec Noé sous l’arc-en-ciel après le Déluge, jusqu’à l’alliance nouvelle et éternelle scellée dans le sang de Jésus, il est le Dieu fidèle, toujours en quête de l’homme et qui en a souci (cf. Ps 8,5). Au seuil du Nouveau Testament, les cantiques de Marie et de Zacharie chantent cette fidélité du Dieu d’Israël qui « se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères en faveur d’Abraham et de sa race à jamais » (Lc 1,54.72).
Mais alors, pourquoi la prière liturgique fait-elle si souvent appel à la mémoire de Dieu ? Dieu nous oublierait-il ? Qu’avons-nous besoin de lui rappeler ? Lui dire : « Rappelle-toi », serait-ce douter de lui ? Pour répondre à ces questions, nous nous mettrons d’abord à l’école des psalmistes, puis nous interrogerons la pratique liturgique de l’Église, sûrs qu’elle nous enseigne continuellement à prier de façon juste.
 

« Souviens-toi, Seigneur ! »


Sur les lèvres des psalmistes, l’invocation si fréquente appelant Dieu à se souvenir se dit sur tous les tons ; le ton plein de confiance du pécheur assuré du pardon de Dieu : « Rappelle-toi, Seigneur, ta tendresse, oublie les révoltes, les péchés de ma jeunesse ; dans ton amour, ne m’oublie pas » (Ps 24,6-7) ; le ton familier de la créature consciente de sa fragilité : « Rappelle-toi le peu que dure ma vie » (88,48) ; le ton déchirant de la plainte lorsque, dans l’épreuve, Dieu semble oublier son fidèle : « Je dirai à Dieu, mon rocher : pourquoi m’oublies-tu ? » (41,10) ; et encore le ton véhément de la supplication au coeur des pires violences de l’histoire : « Lèvetoi, Dieu, défends ta cause ! Rappelle-toi ces fous qui blasphèment tout le jour. N’oublie pas le vacarme que font tes ennemis » (73,22-23).
Sans pouvoir entrer en résonance avec chacune des voix multiples qui font le prix incomparable de la prière des psaumes, écoutons celles qui sont sûrement les plus audibles par nos contemporains, les questions et les cris qui font entendre la grande plainte de l’humanité aux prises avec l’excès du mal triomphant.
« Combien de temps, Seigneur, vas-tu m’oublier ? » (Ps 12,2). La question que pose le psalmiste à brûle-pourpoint est bien de celles qui taraudent toute « âme en peine » (12,3). Dans le psaume 76, elle met Dieu lui-même en question. Mais, à suivre à la trace le verbe zaqar dans cette supplication de quelqu’un qui « cherche le Seigneur au jour de la détresse » (v. 3), on découvre que la mémoire est à la fois mémoire de l’homme pour Dieu et mémoire de Dieu pour l’homme. Au verset 4, le psalmiste se souvient et gémit, aux versets 6-7, il interroge et doute, jusqu’à poser ces questions où vacille sa foi : « Dieu oublierait-il d’avoir pitié ? dans sa colère a-t-il fermé ses entrailles ? » Puis, comme si les mots caractéristiques de l’identité du Dieu de l’Exode : « Dieu...

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