La Résurrection que nous fêtons cette semaine tient dans la vérité d'un corps glorieux qui redonne à la chair délivrée du péché  la joie de sa  vérité la plus profonde. Tertullien exprime avec force le mystère de cette union de l'Esprit et de la chair.
 
 
 
« S'il en va ainsi, tu as d'abord le limon glorieux d'avoir été louché par les mains divines, la chair plus glorieuse encore du souffle divin, par lequel elle a déposé les grossiers éléments du limon et reçu la dignité de l'âme. Tu n'es pas pas plus habile que Dieu. Si tu n'enchâsses point dans le plomb, l'airain, le fer, ni même dans l'argent la pierre précieuse de la Scythie et de l'Inde, ni la perle brillante de la mer Rouge, au contraire si tu les montes sur l'or le plus pur et le plus artistement travaillé; si aux vins comme aux parfums les plus exquis tu prépares des vases qui répondent à leurs qualités; si enfin à des épées de bonne trempe tu donnes un fourreau digne d'elles, t'imagineras-tu que Dieu ait confié à quelque vase abject l'ombre de son âme, le souffle de son esprit, l'opération de sa parole, et qu'il ait témoigné de sa réprobation par l'abjection du lieu où il les plaçait?
Mais les a-t-il placés dans notre chair, ou associés et comme môles à elle? L'union est si étroite, qu'elle laisse douter si c'est la chair qui porte l'âme ou l'âme qui porte la chair; si c'est la chair qui vient à l'âme ou l'âme qui vient à la chair. Toutefois il est plus raisonnable de croire que c'est l'âme qui vient à la chair, parce qu'elle est souveraine et plus rapprochée de Dieu. De plus, servir de domicile à l'âme qui est si rapprochée de Dieu, et la mettre à même d'exercer son empire, relève encore la dignité de la chair. N'est-ce pas en effet par le ministère de la chair que l'âme jouit des dons de la nature, des richesses du monde et du charme des éléments? Pourquoi non? C'est par la chair qu'elle est pourvue de l'appareil des sens, la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût et le toucher; c'est par elle qu'elle est armée d'une puissance divine, capable de tout opérer par la parole, et même par le langage muet du geste et du regard. La parole, assurément, est un des organes de la chair. La chair, elle, est le véhicule des arts! La chair, elle, soutient les sciences et le génie! La chair, elle, conduit les actions, l'industrie, les fondions. Toute la vie de l'âme est si bien la vie de la chair, que ne plus vivre n'est autre chose pour l'âme que sa séparation d'avec la chair. Aussi le propre de la chair est-il de mourir, parce qu'il est de sa nature de vivre. Or, si tout est soumis à l'âme par l'entremise de la chair, tout est soumis également à la chair: il faut nécessairement que l'instrument soit associé à la jouissance. La chair, par le ministère qu'elle prête à l'âme, est donc reconnue sa compagne et sa cohéritière: cohéritière des biens temporels, pourquoi pas des Liens éternels? »

Tertullien, La Résurrection de la chair, fin du chapître VII (environ~150- 220)