En ce dernier dimanche à tonalité apocalyptique, je pose cette question : qu’est-ce que produit en nous la perspective de la fin ? La fin de toute chose, et pour commencer la nôtre propre ?

A l’aune de la fin, pouvons-nous dire, tout est relativisé. Tout ce qui compte habituellement à nos yeux, tout ce en quoi nous mettons nos espoirs, tout ce qui nous permet d’être affirmatifs et résolus, ne compte plus guère. Les biens matériels, même les biens culturels, les interactions quotidiennes, la suite des jours avec leurs bonheurs et leurs malheurs, les éléments de notre vie personnelle… comme ces civilisations qui jadis furent brillantes, tout cela s’écoule, s’écroule et se perd dans les sables. Réfléchissant ainsi, nous en venons à penser, à la manière de l’Ecclésiaste : « A quoi bon ? Tout cela est vide et vain. »

Il y a davantage qu’une part de vérité dans ces pensées. Mais on ne peut s’en tenir là. Ces pensées sont justes comme transition, si elles nous mettent en chemin vers ce qui peut véritablement tenir et durer et s’épanouir. Alors nous pensons pouvoir nous tourner vers les « vérités éternelles », comme on dit, mettre notre espérance en Dieu qui ne trompe pas, nous représenter l’univers harmonieux du ciel ; ne plus vivre que dans ces pensées et pour ces pensées, abandonnant ce monde d’ici-bas à sa vanité et à son vide, ce monde où nous ne vivrions plus qu’en surface ou en apparence, déjà un pied dans l’autre monde et en tout cas la tête.

« Qu’est-c’ que j’ai dans ma p’tit’ tête » chantait le Père Duval… Quelque chose n’est pas très juste non plus, dans cette attitude de retrait prématuré, d’abandon précoce de la vie que nous avons reçue en ce monde. Est-ce que nous n’abandonnerions pas ainsi la proie pour l’ombre ? « Un tien vaut mieux que deux tu l’auras », dit encore la sagesse populaire. Gardant et cultivant en nous la perspective de la fin, nous ne devons pratiquer pas nous mettre à flotter sans consistance en ce monde, tout en le critiquant vertement, telles des méduses flasques et venimeuses à la fois.

Au lieu de s'enfermer dans un retrait jaloux du monde, nous pouvons écouter le Christ, parole sûre qui peut nous transformer et nous faire pratiquer avec lui d'efficaces et authentiques actes de justice et de miséricorde. Quand tout sera achevé, quand il aura détruit même la mort, il se remettra au Père, et avec lui, tous ceux qui se seront remis à lui, et ainsi  Dieu sera tout en tous.
Que nous dit-il ? « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, toutes les nations seront rassemblées devant lui. » Il ne dit pas : les nations auront disparu, se seront évanouies devant le Fils de l’homme. Mais il dit : il y aura un critère, un jugement s’opérera. Les Exercices Spirituels s’en souviennent, qui proposent la perspective de la mort et du jugement pour discerner avec justesse la manière de faire une saine et bonne élection.
Vous connaissez le critère, nous l’avons entendu : « Ce que vous avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » C’est dans le Fils de l’homme que se trouvent récapitulés nos actes de bonté, notre charité active, notre participation à la création continuée, à l’œuvre du Père. C’est cela, le Fils de l’homme, qui tient et qui ne disparaît pas. C’est même cela qui constitue, jour après jour, le ciel nouveau, mais aussi la nouvelle terre, que nous espérons."

Bernard GOUBIN, sj