Bruno Régent s.j.
Membre du comité de rédaction de Christus, Paris.A publié à Vie chrétienne : Récit de l’origine (2006), et à Médiasèvres : L’énigme des talents : une lecture de la parabole de Mathieu (2008) et L’énigme des invités aux noces (2011).

Dernier article paru dans Christus : « L’honneur d’obéir. Comment prendre une décision en communauté ? » (n° 227, juillet 2010).
 
Un livre
 
Né en 1924, à Paris, Jacques Lusseyran connaît une enfance heureuse. Cependant, à l’âge de sept ans et demi, lors d’une bousculade à l’école, il tombe sur le coin d’un bureau et perd les deux yeux. Il fera, malgré tout, sa scolarité avec des voyants. Tout l’intéresse ; ses sens – ouïe, toucher, goût, sentir – soutenus par une grande présence et attention aux êtres, aux choses, à la culture, à la vie, sont mobilisés au service d’une mémoire prodigieuse, d’une vie intérieure intense. Il fonde et dirige un mouvement de résistance à partir de 1941, les Volontaires de la liberté, qui aura 600 membres au moment de sa fusion avec Défense de la France, en février 1943. Arrêté en juillet 1943 (il n’a pas encore dix-neuf ans), il est interrogé et torturé ; il restera en prison à Fresnes avant d’être déporté à Buchenwald fin janvier 1944.
Son livre le plus connu, Et la lumière fut (éditions du Félin, 2005), décrit son itinéraire, depuis son accident en mai 1932 jusqu’à sa sortie de Buchenwald (1). Faute de pouvoir ressaisir toutes les étapes de son itinéraire, trois sont ici privilégiées : la perte de la vue, l’entrée en résistance et la vie en camp de concentration.

La perte de la vue

Quand, vingt ans plus tard, Jacques Lusseyran relit cet épisode, aucune amertume ni regret ne transparaissent : « On me disait qu’être aveugle, cela consistait à ne pas voir. Je ne pouvais pas croire les gens, car moi je voyais. » En effet, au lieu de chercher à voir sous le même mode qu’auparavant, il a la révélation de la lumière, en changeant de direction :

« Je me suis mis à regarder de plus près. Non pas plus près des choses mais plus près de moi. À regarder de l’intérieur, vers l’intérieur, au lieu de m’obstiner à suivre le mouvement de la vue physique vers le dehors. Cessant de mendier aux passants le soleil, je me retournai d’un coup et je le vis de nouveau : il éclatait là dans ma tête, dans ma poitrine, paisible, fidèle… Il était là. Mais pas seul. Les maisons et leurs petits personnages l’avaient suivi. [...] Tout était là, venu je ne savais d’où. On ne m’avait rien dit de ce rendez-vous de l’univers chez moi ! Je tombais, ravi, au milieu d’une conversation surprenante. Je vis la bonté de Dieu et que jamais rien sur son ordre ne nous quitte » (p. 25s).


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