Dans le Mémorial, où il garde le souvenir de ses mouvements intérieurs, Pierre Favre relate la prière faite le 26 octobre 1542, alors qu'il se trouve à Mayence. Cette prière est suivie d'un ensemble de considérations (les passages qui sont proposés à la lecture ici) « sur le rapport entre le possible et le réel, à propos de ces "désirs" si coutumiers à Favre »1. Dans cette prière, Pierre Favre se sent appelé à prier pour les besoins des hommes, tous les hommes : croyants, incroyants, chrétiens, non chrétiens, vivants et morts. Le jésuite se remémore « les misères des hommes, leurs faiblesses et leurs péchés ». Considérant la miséricorde compatissante du Seigneur qui s'est incarné pour nous sauver, le compagnon d'Ignace demande alors qu'il lui soit donné de participer à l'œuvre de rédemption comme « serviteur et ministre du Christ consolateur ». Pierre Favre est ainsi porté à rejoindre le mouvement de l'Incarnation, la Trinité qui, comme l'expriment les Exercices, a regardé « toute l'étendue du monde entier […] pleine d'hommes qui se perdent, et a décidé l'Incarnation pour sauver le genre humain » (Ex. sp., 101-108).

Ainsi se déploie un mouvement en trois temps qui repose sur un double « voir » et une requête. Voir tous les hommes en détresse et voir Dieu qui, dans le Christ, vient les sauver jusqu'à la mort de l'esclave. Ces deux « voir » s'accomplissent dans la demande de Pierre Favre d'être le serviteur et le ministre du « Christ consolateur ». De là, un chemin est tracé pour celui qui se heurte à l'irréductible faiblesse de l'humanité face aux menaces qui pèsent sur elle : se mettre résolument et effectivement en situation d'être touché par les hommes en détresse sans aucune distinction, se tourner tout entier vers le Dieu qui les rejoint, pour être conduit à demander de suivre et d'imiter le Christ qui les sauve. Les paragraphes suivants, extraits du Mémorial, montrent comment Pierre Favre lui-même comprend qu'il est nécessaire de se laisser inspirer par l'Esprit du Seigneur afin d'entrer dans le réel pour ordonner ses désirs d'action à la réalité et au dessein de