Dans une société secouée par de grandes idéologies, la foi est convoquée à se situer et à prendre parti. Ma génération a connu l'affrontement au marxisme et à l'existentialisme Les trois fameux « maîtres du soupçon » (Marx, Nietzsche et Freud) poussaient les chrétiens à répondre, à réagir, donc à rendre compte de leur espérance à la hauteur des contestations et avec une égale ardeur intellectuelle. Certes, le christianisme n'est pas une idéologie, mais il bénéficie, dans le dialogue, de la force de débat qu'elles impulsent. Les idéologies, dit-on, ont trépassé. Rien n'est moins sûr. Cette mort est manifeste pour les grandes pensées qui ont agité les esprits voici déjà plus de quarante ans. Leur succède une autre idéologie, plus largement répandue, mais de moins haute élévation. Une idéologie douce, plastique, tolérante aux variations, sans contenu nettement identifiable, répand un unique style de vie où se mêlent la loi du marché et de la consommation, l'attention méticuleuse aux intérêts particuliers et à l'exotisme le bien-être personnel et des élans humanitaires. Elle passe pour individualiste. Erreur : c'est la société qui s'est organisée pour être individualiste. En prime, l'affectivité du sujet détermine ce qui lui paraît vrai. Mais nul ne peut rien sur les grandes orientations économiques ni sur les cours de la Bourse. Les exaltations sentimentales consonent avec l'austérité anonyme qu'elles s'évertuent à compenser.
Comment penser cette platitude ? Les grandes oppositions soulèvent de fortes réactions. Mais tant de médiocrité enfante l'indifférence. Qu'est-ce qui pourrait mouvoir des engagements ?

L'indifférence des autres


L'indifférence : qui en parle ? D'abord, ceux qui ne sont pas indifférents. Il s'agit de celle des autres, aux yeux des défenseurs d'une cause. Les personnes engagées, chrétiens en tête, peinent à voir comment les autres les perçoivent. L'indifférence est ainsi jugée à partir de convictions, comme leur ombre. Non plus une opposition agressive mais un désintérêt : ni pour, ni contre, mais ailleurs. Vieux problème : en 1817, Lamennais publiait un livre retentissant, l'Essai sur l'indifférence en matière de religion. Le titre reprenait l'expression de Pascal : « L'indifférence de la religion ». Quand Pascal définissait par là une position qui accepte tous les dogmes, il continuait le vieux sens stoïcien de ce qui est indifférent : ni bon ni mauvais, actes indistincts, égaux et sans spécificité. Lamennais arrive après la Révolution et l'Empire, sous la Restauration. Les guerres idéologiques, les luttes politiques qui avaient entraîné la religion dans leurs disputes, s'affaissaient exsangues, laissant un peuple avide de tranquillité et d'ordre Les partis fatiguaient L'indifférence : le repos des guerriers intellectuels.
Un point commun rapproche ces périodes : est indifférent ce qui n'émeut pas, ce qui ne provoque aucun choix, donc ce qui paraît sans importance. Aucune pers...
La lecture de cet article est réservée aux abonnés.