Aujourd’hui, la sexualité est interprétée surtout en termes de fantasmes, d’affects ou d’images. La science psychologique privilégie les représentations. C’est ainsi que la psychanalyse interprète le désir comme le résultat d’identifications, d’investissements, de modèles. Certes, elle en traite aussi en termes de pulsion, de décharge, d’énergie. Mais le premier point de vue l’emporte bien souvent. Le paradoxe est que cette priorité cohabite avec un fond de pensée matérialiste, qui comprend les gestes de l’union, dans les catégories du stimulus et de la récompense, comme quasi animaux.
La contradiction en question est au cœur de notre culture. Elle est renforcée en contexte chrétien, où l’activité sexuelle est placée sous le signe de l’amour, et appelée à exprimer non seulement l’amour mais une relation d’alliance. En même temps, cette activité est dite « œuvre de chair », comprise comme une expression majeure du corps – de la chair et de ses attraits.
Il apparaît déjà que ce que l’on nomme la « sexualité », c’est-à-dire la mise en œuvre du corps désirant, est à la fois le lieu majeur d’accueil des messages venant du corps et l’un des lieux majeurs d’ouverture au dynamisme spirituel, dans la mesure où elle est ouverture à l’amour. Serait-ce à dire qu’elle est un des lieux majeurs de réconciliation de la chair et de l’esprit ?

Sous le désir, la pulsion

Depuis quelques décennies, l’habitude s’est prise de parler de la vie sexuelle en termes de « désir ». Pourquoi pas ? Désir de rencontre, d’union, de jouissance… Mais il faut bien voir et savoir que ce terme est d’origine idéaliste. En son sens premier, le mot veut dire : « aspiration à une étoile » (de-siderum, des-astres). Chez le philosophe stoïcien Andronikos de Rhodes, il désigne « l’élan vers les choses lointaines ». En termes plus récents, il désigne « l’aspiration à un bien ». Ici, le bien est l’union, l’amour, l’accueil mutuel, le don mutuel. Il est vrai que la chair met cela en œuvre et que, dans l’union sexuelle, le plus intime du corps accueille le plus intime du corps de l’autre, de sa vie donc.
Mais ne parler de la vie sexuelle qu’en ces termes, c’est quelque peu l’idéaliser. Sous le désir, dans son élan, se tient la pulsion. Ce mot vient du latin pulsare : « pousser ». Il désigne une force, une énergie, qui vient du corps le plus organique, et qui n’est pas sans dépendance des hormones, de l’anatomie, de la complémentarité des sexes. C’est l’aspect « économique » de la vie sexuelle, selon Freud, qui distinguait le désir comme « vœu » (wunsch) et la pulsion comme « force » (begriede). Comment nier que dans l’expérience et la mise en œuvre de la « sexualité » interviennent non seulement des représentations, mais des forces, lesquelles s’ancrent dans des tensions, des manques, des attraits qui viennent du corps le plus animal, qui trouvent même leur source dans ce qu’il faut bien appeler l’« instinct », même si les pulsions, faisant appel...
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