Le Cantique des cantiques est un livre de sagesse. Cela est non seulement attesté par sa situation dans le corpus sapientiel (aux côtés de Qohelet), mais par la lecture savante et savoureuse qu’en ont faite les Pères de l’Église et les mystiques médiévaux 1, et jusqu’aux poètes du XXe siècle. Il apparaît donc légitime d’y chercher sur quels éléments s’est fondé un nouveau savoir sur l’amour, puisque le Cantique nous met, sous le regard de Dieu, dans le mouvement même de la découverte de soi et de l’autre au stade passionnel — porte d’entrée de la vie conjugale et point de référence pour le couple au plus secret de ses jours. Nous verrons ensuite comment John Donne (1573-1631) fait le récit de cette prise de conscience décisive : « [Le corps] est pour le Seigneur, et le Seigneur est pour le corps » (1 Co 6,13).
« Le roi m’a introduite en ses appartements »
Rappelons d’abord en quelques mots la structure du Cantique. Il s’ouvre par un dialogue qui se déploie longuement en de multiples expressions de désirs mutuels (de 1 à 4,15) ; puis la bien-aimée ouvre son « jardin » avec ardeur (4,16) ; le bien-aimé y entre, et la bienaimée s’offre à lui ; mais, soudain, l’homme disparaît sans raison (de 4,17 à 5,6) ; la partie suivante marque le retour du désir dans l’absence (ch. 6), suivi de l’exaltation de l’amour présent (ch. 7) ; alors l’amour est consommé, comme le vin ou la liqueur (ch. 8).
« Chercher-trouver-perdre-chercher » : ce motif a souvent été commenté et a connu une postérité considérable dans la tradition mystique. Inutile donc d’y revenir, sauf pour rappeler que c’est la bien-aimée qui mène ici l’action et le dialogue. Mais si l’on tente de saisir la saveur de ce savoir amoureux, y compris à travers ses lieux communs, on sera surpris. Dans cette note, nous l’aborderons sous le seul angle des sens (odorat, toucher, vue, ouïe, goût) que Dieu nous a donnés pour Le connaître au plus intime, sans que nous ayons pour autant à nous référer explicitement à Lui.
Un premier point à souligner est l’importance du contexte où se déroule la rencontre amoureuse (appartement, enclos, pommier, cellier, couche, etc.), contrastant avec les tentations de fuite de la belle (« entraîne-moi sur tes pas, courons ! »). Comme si les désirs avec toute leur charge émotionnelle, imaginative, pouvaient seulement se révéler au sein d’un lieu sécurisant, avant que le mouvement du désir se fasse lui-même lieu : « Son bras gauche est sous ma tête, et sa droite m’étreint » (8,3).
Le parfum, qui tient une très grande place dans le Cantique, permet à la bien-aimée d’affiner, creuser, préparer le lieu de l’amour encore à venir. Invisible, il va droit au coeur — langage tacite des préliminaires, qui permet de s’unir ou de se séparer sans mot dire, tant il en impose par sa discrétion. Ainsi, dans le Cantique, voit-on ce langage progresser avec l’am...
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