À cause de Pierre Fresnay peut-être, nous gardons souvent de « Monsieur Vincent », l’inlassable adversaire des misères du XVIIe siècle, une image douloureuse et tendre. Voici un livre qui se propose d’enrichir ce pastel de tons plus vigoureux.
L’auteur négligeant la piste biographique, cette vigueur ne vient pas d’un récit qui mettrait en scène, à frais nouveaux, l’intrépidité de l’apôtre, la liberté du pédagogue ou l’audace du fondateur. C’est plutôt la vigueur d’une exploration en eau profonde : à travers une étude bien charpentée des écrits du saint, sous l’homme d’action, nous découvrons l’homme d’oraison. Le coeur qui rend ses mains si actives. Larges extraits de lettres ou de conférences, où Vincent se révèle maître de sagesse, tout à la fois digne fils de rudes laboureurs landais et fidèle disciple de Celui qui s’est fait le pauvre des pauvres. Il veut transmettre un feu à d’autres, l’Esprit de Jésus qui l’a lui-même embrasé. D’où ces envols, ces exhortations pétris d’Évangile, où il pourra tout aussi bien être question de couteau que de pomme, au gré d’une imagination chaleureuse et inventive.
Même si elle est tributaire (jusque dans l’expression) du christocentrisme de Bérulle et de la douceur de François de Sales, la spiritualité de Vincent de Paul est surtout marquée, comme sa vie, par sa capacité à être résolument lui-même, et à coller profondément au réel de l’existence, là où Dieu se fait Providence. Causeries et correspondance, jusque dans leur ton cordial et enthousiaste, témoignent d’une spiritualité expérimentale, apte à engendrer une mystique de la mission – mission toujours vécue comme une oeuvre commune, afin d’être, en acte, reflet de l’Unité trinitaire.
Paradoxalement, cette sagesse façonnée par les réalités d’un siècle révolu – mais, du coup, très incarnée – met en valeur l’actualité de Vincent de Paul. Au terme d’une année 2010 maladroitement qualifiée de « sacer-dotale », il est ainsi très encourageant de sentir que le saint fonde résolument sur le sacerdoce baptismal son ardeur à entraîner clercs et laïques, hommes et femmes, pour une unique mission qui est toute sa vie : l’évangélisation des pauvres. Il n’est guère clérical, ce fondateur des Lazaristes chargés de conduire au presbytérat…
Nous savions bien que saint Vincent de Paul n’était pas non plus un pur humanitaire. Avec cet ouvrage qui dévoile, en somme, quelle Marie habitait chez Marthe, nous comprenons mieux pourquoi le Christ prenait plaisir à y séjourner.