Fils de Louis VIII († 1226) et de Blanche de Castille († 1252), le futur saint Louis naquit en 1214 ; il avait douze ans en 1226 lorsque mourut son père, et sa mère, femme forte et pieuse, le fit couronner aussitôt à Reims en exerçant la régence pendant sa minorité.


Le règne agité de Louis IX

Les premières années de son règne furent marquées par les intrigues et les révoltes de certains grands barons qui tentèrent de mettre à profit cette période de relative faiblesse du pouvoir royal pour affirmer leur autonomie. Mais la fermeté de la reine et le courage du jeune Louis IX leur permirent de venir à bout de ces soulèvements confus et mal organisés qui tournèrent finalement au profit de la royauté.
Plus graves furent les interventions du roi d’Angleterre Henri III, qui tenta de reprendre les provinces de l’Ouest de la France que lui avait enlevées Philippe Auguste. Après les victoires remportées par les troupes royales à Taillebourg et à Saintes en 1242, ce péril fut bientôt écarté et une trêve durable fut signée avec les Plantagenets.
Roi guerrier et victorieux, qui avait épousé Marguerite de Provence en 1234 et dont il eut onze enfants, Louis IX se signala bientôt par une vive piété et une foi intransigeante, comme le montrèrent les mesures restrictives qu’il prit à l’égard des Juifs et l’appui qu’il donna à l’Inquisition dominicaine en Languedoc dans la lutte contre les mouvements hérétiques.  
Fondateur de l’abbaye cistercienne de Royaumont près de Paris, il soutint les Ordres mendiants – franciscains et dominicains – qui venaient de s’installer en France et favorisa par ses subsides la construction de nombreux couvents. C’est du reste parmi ces religieux qu’il choisit ses chapelains et ses confesseurs qui exercèrent sur lui une réelle influence.
Très touché en apprenant que Jérusalem était retombée en 1244 entre les mains des musulmans, le roi fit un vœu de croisade en 1244, à l’occasion d’une grave maladie, et s’employa dès lors à préparer son expédition outre-mer. Voulant laisser un royaume pacifié et où règnerait la justice, il envoya en 1247, dans les diverses parties du domaine royal, des religieux mendiants pour enquêter sur les abus qu’auraient pu commettre les agents royaux dans l’exercice de leurs fonctions ; à la suite de quoi une bonne partie des baillis et sénéchaux furent sanctionnés et remplacés par des personnes plus dignes.
Laissant la régence à sa mère, il s’embarqua à Aigues-Mortes en 1248 et, après avoir gagné Chypre puis Saint Jean d’Acre, il débarqua en Égypte avec ses troupes qui s’emparèrent de la ville de Damiette. Dans l’espoir de convertir à la foi chrétienne le sultan et son peuple, il chercha à gagner Le Caire mais fut vaincu et fait prisonnier à la bataille de Mansourah en 1250. Libéré contre une forte rançon, il passa ensuite quatre ans à fortifier les villes côtières de la Terre Sainte qui restaient entre les mains des Francs et à s’efforcer de racheter les chevaliers encore en captivité en Égypte.
En 1254, il se décida à regagner la France, mais ses mésaventures l’avaient changé : convaincu que l’échec de la croisade était dû à ses fautes et à celles des croisés, il allait désormais consacrer toutes ses forces à une réforme politique et morale du royaume, de façon à y faire régner la volonté de Dieu et la paix. Son prestige personnel lui permit d’intervenir comme arbitre dans de nombreux conflits territoriaux et dynastiques, tant en France que dans les pays voisins, et de faire prévaloir son arbitrage.
En 1259, il signa avec le roi d’Angleterre Henri III le traité de Paris qui devait assurer une paix durable entre les Capétiens et les Plantagenets. On lui reprocha à cette occasion dans certains milieux d’avoir fait des concessions territoriales au souverain anglais, alors qu’il n’y était pas contraint, mais il obtint en contrepartie que ce dernier se reconnaisse son vassal pour ses fiefs français, ce qui n’était pas le cas jusque-là.
Par ailleurs, il développa toute une législation qui visait à renforcer les prérogatives royales dans le domaine de la justice : lorsqu’Enguerrand de Coucy eut fait pendre trois jeunes gens dont le seul crime avait été de chasser sans autorisation sur ses terres, Louis IX refusa que ce seigneur soit jugé par ses pairs et il lui infligea un châtiment. Enfin, si l’image du roi rendant lui-même la justice sous le chêne de Vincennes ne doit pas être prise à la lettre, il n’en demeure pas moins qu’il réunit plus fréquemment que ses prédécesseurs l’assemblée royale de justice qui fut nommée Parlement, où les clercs et les juristes formés au droit romain remplacèrent progressivement les barons. En 1262, il affermit la stabilité de la monnaie royale et établit sa prééminence par rapport à celle des seigneurs qui avaient encore le droit de battre monnaie. Enfin, il promulgua entre 1254 et 1269 des ordonnances contre la prostitution, le jeu, le blasphème et le duel judiciaire dans le but de faire régner dans son royaume un ordre moral conforme aux enseignements de l’Église.
Ses tendances ascétiques et pénitentielles ne cessèrent de s’accentuer dans les dernières années de son règne et, en 1266, au grand désespoir de son entourage et de la plupart de ses conseillers, il décida de repartir en croisade, ce qu’il fit en 1270. Le but de l’expédition fut cette fois-ci la Tunisie où régnait Al-Mostansir, dont il avait entendu dire qu’il était disposé à se convertir au christianisme. En fait, il n’en était rien, et le roi, à peine débarqué près de Tunis, y mourut du typhus le 25 août en proférant les paroles : « Jérusalem ! Jérusalem ! » Sa dépouille fut ramenée en Sicile et, de là, transportée en France où elle fut ensevelie à Saint-Denis en mai 1271.


Saint Louis : le roi juste

Dès l’année suivante, le confesseur du roi, Geoffroi de Beaulieu, fut chargé par le pape Grégoire X d’écrire sa Vie, qui fut complétée par son chapelain Guillaume de Chartres. En 1275, le clergé français commença à adresser des pétitions au Saint-Siège en vue de sa canonisation et une enquête sur sa vie et ses miracles eut lieu à Saint-Denis en 1282/83. La commission recueillit les dépositions de 330 témoins, dont 38 sur sa vie et ses vertus, mais ce document ne nous est malheureusement pas parvenu. On peut se faire cependant une idée assez précise de son contenu grâce à la Vie de saint Louis du franciscain Guillaume de Saint-Pathus, rédigée en 1322/3, qui semble s’en être inspiré d’assez près. Finalement, Louis IX fut proclamé saint par le pape Boniface VIII le 11 août 1297 ; dans la bulle de canonisation Gloria laus, il ordonna aux églises et aux diocèses du royaume de France de célébrer sa fête chaque année le 25 août. Divers offices liturgiques furent alors composés en son honneur par des cisterciens, des frères mendiants et des clercs séculiers et, en mai 1306, les reliques de sa tête furent transférées de Saint-Denis à la Sainte Chapelle, dans l’île de la Cité. Enfin, Jean de Joinville, qui avait été son compagnon pendant de nombreuses années, acheva en 1309 son Histoire de saint Louis, qui constitue une source d’un intérêt exceptionnel pour comprendre la personnalité du roi et connaître les réactions de son entourage à son égard.
L’impression qui se dégage de ces textes est que le pieux roi de France a incarné pour ses contemporains l’idéal du rex justus tel que les clercs l’avaient défini dans les Miroirs des princes rédigés en Occident à partir de l’époque carolingienne. En évoquant la façon dont saint Louis avait exercé le pouvoir royal, ses biographes ne manquèrent pas de souligner la conformité de ses actions à la doctrine chrétienne et les effets bénéfiques de sa collaboration avec les évêques et les prêtres, porte-paroles de la volonté divine. Il n’y a pas lieu de mettre en doute la légitimité de ces affirmations. On sait en effet que l’identité de vues entre le souverain et l’Église fut à peu près complète, et nul n’a mieux mérité que lui le titre de « roi très chrétien », tant pour son sens de l’équité que par le souci permanent qu’il eut de ne pas faire de tort à autrui. Mais il est frappant de constater que les appréciations portées sur le bon gouvernement du souverain capétien ne tiennent que peu de place dans les éloges qui lui furent adressés lors de sa canonisation par Boniface VIII.
Dans les deux sermons qu’il prononça à cette occasion, le pape lui fit gloire d’avoir méprisé le monde pour le soumettre à Dieu tout en demeurant au milieu des hommes ; il exalta aussi sa pureté qui lui avait permis de soumettre la chair à l’esprit et conclut en disant que sa vie avait été « surhumaine », soulignant ainsi l’héroïcité de ses vertus et la persévérance avec laquelle il les avait pratiquées. L’accent y est mis sur le roi « béguin » des dernières années, confit en dévotion et détaché des contingences terrestres, vêtu comme un pénitent et préférant aller à pied qu’à cheval, ce qui faisait pleurer Joinville. Mais on ne trouve dans ces textes aucune mention d’une sanctification du souverain à travers l’accomplissement des tâches spécifiques de la fonction royale.


Le chef « charismatique » de la chrétienté

De la vie séculière de saint Louis, l’Église romaine ne reconnaît, pour le sacraliser, que l’usage des armes, justifié par la nécessité de défendre la chrétienté contre ses principaux adversaires : les Sarrasins – c’est-à-dire les musulmans – au dehors et les hérétiques et les blasphémateurs à l’intérieur.
De tels propos laissent de côté un aspect essentiel de la piété du roi qui le poussait à traduire en actes ce que l’évangile enseigne ou recommande et à rechercher le salut des âmes. Certes, saint Louis situait son action dans le cadre de l’Église à laquelle il appartenait et dont il était le « ministre » en vertu du serment qu’il avait prêté lors de son sacre. Mais le respect dont il entourait les prélats et les clercs ne lui interdit jamais d’y jouer un rôle autonome : pour lui, l’Église est un corps dont tous les baptisés sont les membres actifs et le souverain plus que quiconque, dans la mesure où son pouvoir procède de celui du Christ. Le roi de France est vassal de Dieu, non du pape, et son action n’a pas à s’identifier à la politique ecclésiastique. Aussi n’hésita-t-il pas à s’opposer à la juridiction des évêques français qui prétendaient intervenir dans tous les domaines de la vie sociale en abusant de l’excommunication, et à prendre ses distances vis-à-vis de la papauté dans les conflits qui l’opposèrent alors à l’empereur Frédéric II et à ses successeurs. Bien plus, il prit seul à deux reprises l’initiative de partir en croisade, alors que les précédentes expéditions en Orient avaient été dirigées par des légats pontificaux, et il envoya des émissaires auprès des Mongols dans l’espoir de les convertir à la foi chrétienne.
Avec saint Louis commence à s’affirmer dans la réalité concrète un ordre de droit laïc qui confère à la puissance publique l’autorité législative et le pouvoir de rendre la justice. Mais pour lui, la finalité du pouvoir temporel était d’ordre spirituel : s’appuyant sur les ordres mendiants dont il partageait l’idéal, il rêvait de faire de la France un « nouvel Israël » et des Français un peuple élu appelé à réaliser hic et nunc le royaume de Dieu. Non pas au détriment de l’Église, comme son contemporain Frédéric II, mais en obligeant celle-ci à être fidèle à sa mission et aux exigences évangéliques.
Dans cette perspective, le rachat par saint Louis de la Couronne d’épines en 1238/39 et la construction, pour l’abriter, de la Sainte Chapelle située au cœur du palais royal prennent tout leur sens. Ils constituent en effet le signe de la suprématie du roi de France, souverain directement inspiré par Dieu qui agit comme s’il était le chef « charismatique » de la chrétienté à une époque où les papes et le clergé étaient souvent égarés par leur volonté de puissance et leurs ambitions temporelles.
Mais cette revendication n’était pas l’expression d’un désir d’hégémonie. Si Louis IX a été considéré comme un saint par le peuple et par l’Église, c’est que, suivant la logique de la sainteté, il a recherché jusqu’au bout l’impossible harmonie des extrêmes : réconcilier le pape et l’empereur, associer la croisade et la mission, mener une existence de religieux tout en affirmant hautement la dignité royale. À la suite du Christ, il a finalement connu l’échec et la mort dans la solitude. Sans doute est-ce ce destin tragique qui explique qu’il soit le seul roi de France dont la popularité a largement dépassé les frontières de son royaume.


Un modèle de justice et de charité

On peut s’étonner que la figure du « roi très chrétien » ait été érigée en modèle par les manuels scolaires de la IIIe République, alors même que faisaient rage les grands conflits avec l’Église autour de la laïcité. En fait, l’époque moderne a surtout été sensible à la façon dont le souverain a exercé la justice : que l’on pense aux innombrables images représentant saint Louis à l’écoute des plaignants sous le chêne de Vincennes que l’on trouve dans les manuels scolaires de l’époque ! Mais s’il est vrai que le souci de la justice semble avoir été une préoccupation majeure du roi, la réduction de la sainteté à une morale laïque masque une évolution importante : l’Église de son temps définissait la justice des souverains comme une fonction d’arbitrage plus que de décision, leur rôle étant surtout de protéger les clercs et de défendre la foi orthodoxe dans leurs états.
Chez saint Louis, nous l’avons vu, l’obéissance à l’Église va de pair avec une certaine réserve vis-à-vis des institutions et des comportements ecclésiastiques. Mais ce qu’il dénie aux institutions, il l’accorde aux exigences morales chrétiennes, et nul n’est allé aussi loin de son temps dans l’instauration d’une législation tendant à les mettre en pratique. Au-delà de l’anecdote, il apparaît avant tout comme un défenseur de la justice, lorsqu’il permet à quiconque de porter plainte contre les abus de l’administration royale, généralise la procédure d’appel à la justice royale et desserre l’étau féodal au double profit des individus et de l’État. De fait, son désir de justice a contribué à affermir l’État comme représentant de la volonté générale, ce qui permet de comprendre que la République laïque de Jules Ferry ait pu se reconnaître en lui.
Mais la sainteté de saint Louis ne se réduit pas à un sens aigu de son devoir d’état et des exigences de son accomplissement. Très marqué par l’évangélisme des ordres mendiants, il aspira également à s’identifier au Christ souffrant et aimant : il portait une ceinture de crin autour des reins en guise de cilice et dormait quand il le pouvait sur un lit de bois. Sa charité était sans limites : on a calculé que ses aumônes représentaient le dixième des dépenses de la Cour ! Surtout, il cherchait, à chaque fois que cela lui était possible, à s’impliquer personnellement dans le service des pauvres : tous les samedis, en temps normal, il lavait les pieds à trois d’entre eux, leur servait un repas et mangeait même leurs restes. À Royaumont, abbaye qu’il avait fondée et où il effectua de nombreux séjours, il se comportait en simple religieux et donnait lui-même à manger à un frère lépreux.
Diverses anecdotes signalent chez lui l’existence d’une vive tension entre la conscience d’être roi et la dévotion personnelle, et l’on peut se demander si la tentation de se retirer du monde ne l’a pas effleuré dans la dernière partie de son existence. Mais cette contradiction s’est trouvée résolue par un compromis, qu’on appelle dans les textes de l’époque la « prud’hommie », une manière de vivre dans le monde de façon chrétienne tout en honorant les exigences de son état, par opposition à la figure du « béguin » totalement confit en dévotions que certains de ses contemporains lui ont reproché – à tort – d’avoir été.
Saint Louis innove en vivant en dévot dans les limites du siècle et, selon l’heureuse formule d’Alain Boureau, « en recouvrant sa piété du manteau laïque et politique de sa fonction ». Ainsi, il portait des chaussures apparemment normales mais sans semelles, ce qui lui permettait de pratiquer une forme d’ascèse sans que son entourage ne s’en aperçoive. Ses paroles pieuses étaient réservées au cercle de ses familiers, comme on le voit dans les Enseignements qu’il laissa à son fils aîné, le futur Philippe III. En ce XIIIe siècle qui découvrit la vie privée et familiale, on trouve chez saint Louis une attitude emblématique – respect filial pour la mère, fidélité à l’épouse, attention aux frères et aux enfants – qui fait de lui une des premières figures du père de famille chrétien, attentif et sévère, qui prévaudra jusqu’au XXe siècle.

On mesure là l’importance d’un tel modèle idéologique et spirituel, qui se développe parallèlement à l’essor de l’État, pondéré par le respect des droits des divers groupes sociaux et des « franchises » des communautés territoriales qui composaient le royaume de France.