Éditions de l’Atelier, coll. « Témoins d’humanité », 2007, 221 p., 17 euros.
Claire Ly est déjà connue pour son premier livre, Revenue de l’enfer (Édi­tions de l’Atelier, 2002). Elle y racontait l’itinéraire qui, dans son combat pour survivre dans les camps des Khmers rouges entre 1975 et 1979, l’avait menée du bouddhisme au catholicisme. Sa révolte et son désir de vivre l’avaient alors écartée du détachement enseigné par sa tradition pour la conduire au « Dieu des occidentaux ». Réfugiée en France en 1980, elle y découvre l’Évangile et Jésus-Christ. Comme l’éprouvante métamorphose qui avait fait de l’intellectuelle aisée une paysanne manuelle devant passer pour illettrée, cette conversion posait déjà la question, pour elle cruciale, de son identité.
Dans ce second livre, Retour au Cambodge, cette question est toujours plus vive, et, à travers elle, celle d’une « fidélité paradoxale » dans une identité en devenir. Alors qu’elle pensait avoir définitivement quitté le Cambodge il y a plus de vingt ans pour reconstruire sa vie en France, Claire Ly ose affronter son passé en revenant, par étapes, sur les lieux de son histoire. Elle raconte avec pudeur et liberté son cheminement, véritable combat spirituel.
Invitée comme guide interprète par un journaliste, elle part en 2002 à Phnom-Penh, dont elle visite les endroits publics ou professionnels, plus neutres. Puis, en 2003, elle retourne, avec sa fille, à Battambang, sa ville natale, où elle retrouve sa maison et la pagode de son enfance. Elle se rend à Prek Chhik, le camp où elle est restée pendant quatre ans et dont la na­ture a effacé toute trace de l’horreur vécue. Elle revient une troisième fois en 2005. Les liens tissés avec la communauté catholique de Phnom-Penh s’approfondissent et elle accepte d’accompagner son fils cadet aux musées du génocide de Tuol Sleng et de Choeung Ek.
Lieux, personnes, ou rencontres, laissent remonter ce qui vient à la mémoire, comme une « quête de souffle qui nourrirait [son] identité personnelle ». Dans un échange incessant et réciproque, la catholique d’aujourd’hui recueille ce qui parle en elle de la culture de son « premier pays » et de l’enseignement de son père, bouddhiste convaincu. Elle en a gardé le souci de la parole juste, la méfiance envers les émotions qui ne doivent pas submerger. Devant le charnier où son père et son mari ont été fusillés, saisie, elle éprouve « l’effroi de [se] trouver dans une situation inédite où plus aucun raisonnement ne passe ». Dans les musées du géno­cide, malaise et tristesse infinie l’envahissent devant l’instrumentalisation du mal sous les objectifs de touristes indécents. Seul le silence est juste. « Le mal réellement vécu laisse sans voix. Il désarçonne tout raisonnement intellectuel et coupe court à tout discours ». De cette confrontation dou­loureuse naît aussi « la paix dans la déchirure. » Si certaines rencontres ravivent en elle blessures et colère, d’autres permettent d’éprouver une sérénité, comme lorsqu’elle retrouve d’anciennes compagnes, paysannes qui lui avaient appris à travailler de ses mains dans les rizières et à y pêcher pour survivre.
De singulière, cette quête s’ouvre au particulier et à l’universel. La dernière partie du livre porte les questions des compagnons de la com­munauté catholique, pour les encourager à oser « l’expression khmère de leur foi en Jésus-Christ » avec plus de liberté et d’assurance. « Il s’agit de pouvoir dire Jésus-Christ dans la culture khmère, avec sa pensée, sa phi­losophie. » Aujourd’hui chargée de cours à l’ISTR (Institut de Sciences et Théologie des Religions) de Marseille, Claire Ly nous rappelle l’enjeu que représente une rencontre des cultures et des religions, qui doit se vivre dans un dialogue intra-religieux (et non inter-religieux). C’est au prix d’un véritable « travail d’enfantement » que la rencontre entre ses deux cultures lui a permis « l’unité dans la confrontation ». « Hospitalité réciproque », et « décentrement », reviennent aussi sous sa plume pour témoigner de « la force spirituelle de cette dichotomie intérieure ». Parce que, pour elle, la foi est une rencontre, comme celle qu’ont faite sur le chemin d’Emmaüs ceux dont le coeur touché est devenu brûlant.