«Si quelqu’un vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses soeurs, et jusqu’à sa propre vie, il ne peut être mon disciple » (Lc 14,26). Cette parole de Jésus pose aujourd’hui question, et même si « haïr » indique ici plus une préférence qu’un sentiment violent, il n’empêche qu’au moment décisif Jésus préconise la capacité d’écarter des amours légitimes et naturels au profit de lui-même. Or cela ne semble pas avoir dé­couragé ses disciples à travers l’histoire.
Comment comprendre cette parole ? De quelle haine s’agit-il ? Et comment a-t-elle été entendue et comprise au long des siècles ? Quelles formes de vie spirituelle a-t-elle nourries ? Comment s’est-elle traduite culturellement ? Il est difficile de répondre, parce que l’on rencontre peu la notion de haine dans la tradition spirituelle, mais aussi parce que, intimement liée à l’amour, la haine de soi peut être source d’illusion et aisément glisser d’une purification de l’amour à un enfermement narcissique sans avenir.
 

Dans les Écritures


La haine proprement dite bénéficie d’un enracinement scripturaire dense et fort dès le livre de la Genèse, qui éclaire celle des proches et de soi que préconise Jésus, et qu’on ne rencontre que dans le Nouveau Testament (Luc, Matthieu, Paul, Jacques, Jean).
Comme l’envie ou la jalousie avec lesquelles elle a partie liée, la haine est un mal, visant la destruction de l’autre, homme ou Dieu (Gn 4). Elle devient alors une dimension essentielle de l’histoire de l’Alliance et du salut : le cycle de violence qu’elle enclenche ne peut être rompu que par Dieu, toute-puissance d’amour, qui marque Caïn au front et sauve le psalmiste de la haine qui l’étreint.
Jésus assume la figure du juste victime de la haine, mais dans sa Passion et sa mort, il opère un retournement décisif et novateur : dans la continuité de rencontres comme celles des lépreux, de la femme adultère ou de l’aveugle-né, il distingue entre haine du mal, du péché, et haine de l’impie, du pécheur. Elle passe au coeur de tout homme, là où lui-même, Jésus, a été tenté au désert, à cette frontière poreuse et floue du mensonge et de l’envie où se cache sous des projets séduisants la véritable haine de Dieu, refus du Père. Chacun s’y découvre complice du péché de tous. Le retournement vécu par Jésus jusque sur la croix (« Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font », Lc 23,34) consiste à aimer son prochain jusqu’à nos ennemis et haïr le péché jusque là où il prend l’allure de l’obéissance respectueuse aux relations les plus légitimes qui soient : à la famille et à soi-même, aux valeurs morales et culturelles… Là précisément où peuvent naître de vives résistances à la préférence de l’amour de Dieu.
 

Martyre et glorification du corps


La haine de sa propre vie naît de l’amour qui met le disciple à la suite du Christ. Elle en est la face inverse, combative pour suivre et accueillir jusqu’au bout la source de la vraie vie, qui nourrit un amour vrai du prochain et de soi, capable d’aller jusqu’au pardon ou à la compréhension des ennemis.
La première figure dans laquelle elle s’incarne, dès l’Écriture même, est celle du martyre, du témoignage donné jusqu’au don de sa vie : le diacre Étienne meurt lapidé, prononçant les paroles mêmes du Christ sur la croix et voyant le ciel ouvert, la résurrection déjà là (Ac 8). Face à la haine du monde dont ils sont l’objet, les premiers chrétiens s’exposent dans l’infinie fragilité de leur vie où la résurrec­tion est à l’oeuvre. Ils rejoignent ainsi le Christ dans sa crucifixion pour renaître avec lui dans la gloire et hâter ainsi son avènement.
Le récit du martyre de Polycarpe insiste sur la finalité eucharisti­que : « Puissé-je, parmi eux, être reçu aujourd’hui en sacrifice gras et acceptable... Le feu (...) environna le corps du martyr. Et lui-même, au milieu, n’apparaissait pas comme une chair consumée, mais comme un pain dans sa cuisson… » Est ainsi soulignée la dimension éminemment corporelle, charnelle même, du témoignage donné. Contre la gnose et le docétisme, il faut montrer que le ressuscité est le crucifié qui a vécu sa passion et sa mort, dans sa chair, par amour pour nous. À sa suite, le disciple témoigne, dans tout son corps, de la vie qui est en lui, qu’il soit dans la paix ou qu’il ait à subir la haine ou l’hostilité du monde.
On ne peut donc pas opposer l’amour et la haine, le bien et le mal comme deux principes situés sur le même plan à la manière de la gnose : le salut nous vient par Jésus-Christ, Dieu fait homme, descendu dans la chair et l’histoire pour nous ouvrir le chemin de la vraie vie. C’est pourquoi aussi la haine de soi vécue dans la condition du martyr n’est pas mépris ou haine de la chair, mais participation jusqu’au terme à la vie du ressuscité. Les martyrs sont mémoire de la chair de Dieu livrée pour nous.
 

Le modèle ascétique du moine


L’expansion du christianisme et son intégration à la vie civique et culturelle appellent, dès le IVe siècle, de nouvelles manières, de vivre la radicalité de l’Évangile à la suite du Christ. Progressivement, dans un monde où Dieu est maintenant au centre et agit par la foi des croyants, l’apport le plus neuf et décisif sur le plan spirituel est la fondation du monachisme. Pour environ dix siècles, le moine, sous des acceptions différentes, incarnera plus que tout autre la figure du disciple dans une recherche de « l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi » (saint Augustin).
 
Une pédagogie du renoncement

La « haine de soi-même », ou « mépris de soi », découle de l’expérience spirituelle du désert qui fonde historiquement et an­thropologiquement la vocation monastique. Le monde, en effet, ne s’arrête pas aux portes du monastère ou du désert ; il est présent dans le coeur du moine et se manifeste par ses attaches, ses raideurs, ses obsessions, ses haines de l’autre… Le haïr consiste alors, pour le moine, à gagner et à grandir en liberté, et, par le fait même, à faire grandir le Royaume de Dieu dans le monde, « la cité céleste » : « Deux amours ont donc fait deux cités : l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu, la cité terrestre ; l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi, la Cité céleste » (saint Augustin).
C’est le moine Cassien qui inspirera les moyens d’une vie mo­nastique authentique et développera une pédagogie de la croissance spirituelle et de la pureté du coeur au service de la charité frater­nelle et du règne de Dieu. Il décrit trois renoncements successifs qui constituent trois étapes de progression : 1. Le dépouillement des biens matériels et des commodités qui nous engourdissent et nous enchaînent ; 2. Le rejet des habitudes et affections ancien­nes ; l’humilité, dans la soumission au jugement des anciens, et la constance, dans la lutte persévérante contre tout ce qui nous trouble, concourent à l’acquisition de la paix et de la charité ; 3. Une purification de l’esprit ouvre à la contemplation de l’oeuvre du Père, et permet d’entrer dans un progrès sans limite. Ces étapes, avec l’aide de la contemplation, de la méditation incessante et de la lecture de l’Écriture sainte, remettent le moine devant la finalité de sa démarche : contre tout pélagianisme ou volontarisme excessif, elles lui donnent d’acquérir une connaissance amoureuse de Dieu et du Christ, et une connaissance vraie et lucide de soi.
 
L’amour de la pauvreté

Mais ce qui dominera l’ascèse spirituelle durant tout le Moyen Âge, c’est le renoncement aux biens, le dépouillement, la pauvreté vouée : « Être séparé des biens comme un supplicié sur la croix est séparé du monde », écrit Cassien. Certes, il y eut bien des excès et des exagérations, où la performance et la recherche de soi l’emportent sur la recherche de la volonté de Dieu. Thomas d’Aquin approuve la haine du chrétien pour les siens ou pour lui-même dans la seule mesure où, ajoute-t-il judicieusement, elle est préférence donnée à Dieu et où elle appelle à refuser les biens terrestres et à accepter les maux présents.
Dans le langage spirituel des Pères et du Moyen Âge, la haine de soi n’est jamais le fruit du dépit ou de l’échec qui conduirait à un désespoir. Augustin a d’ailleurs souligné la distinction entre haine du péché (louable) et haine du pécheur (interdite), et toute l’ascèse est construite sur la foi en la résurrection qui ouvre l’accès à Dieu et la possibilité de coopérer au salut du monde. Plus que celui de la haine, c’est le langage de l’amour de Dieu à vivre et à répandre, qui domine ces siècles où se construisent dans un même élan l’Église et la société en Europe : « La mesure de l’amour de Dieu est de L’aimer sans mesure », écrit saint Bernard.

Abandon et anéantissement : l’ère moderne


Aux XIVe et XVe siècles, sur fond de catastrophes, d’épidémies, d’insécurité permanente, de rivalité avec l’islam, les hommes décou­vrent que le monde est pluriel et beaucoup plus vaste que le monde chrétien connu. Ils acquièrent une autre perception de la nature qui semble soumise à des forces incontrôlables qu’ils apprennent à utiliser rationnellement. Dans ce contexte et quel que soit l’état de vie et la condition des uns ou des autres, c’est au coeur d’une expérience personnelle et subjective de Dieu que la vie spirituelle se donne et se décrypte. Son chemin est celui de l’intériorité.
 
Renoncer à soi

Une première forme de renoncement consiste à écarter de soi tout ce qui ne dispose pas à une telle rencontre dans la vie, en particulier tout ce qui relève du « monde » au sens johannique. Il s’agit alors de mettre en place une vraie disponibilité à l’écoute et à la contemplation de Dieu dans la vie ordinaire, de trouver de la liberté et de travailler le désir à un rythme et par un style de vie qui prépare le corps et oriente le coeur vers cette recherche de Dieu. L’humilité s’acquiert ici en essayant de s’accueillir dans la réalité de ce qu’on est, personnellement et socialement, là même où Dieu nous accueille et frappe à la porte ; et une fidélité s’y construit dans la cohérence avec soi-même et la fermeté d’intention, entre les pensées et les actes, la foi et la vie, la prière et l’action.
Renoncer à soi vaut aussi dans la prière mentale, l’oraison, et tout ce qui concerne la relation intime avec Dieu. À la tentation de se réfugier dans des images consolantes, ou de se satisfaire des signes traditionnels de la présence de Dieu, on opposera ce que Maître Eckhart nomme « négation initiale », Ignace « indifférence », d’autres « abandon », ou encore « anéantissement ». C’est l’expé­rience du désert au coeur de la relation à Dieu, à l’instar du Christ qui commence son règne en démasquant l’ennemi, le Prince de ce monde et sa haine de Dieu derrière des images et des projets moti­vants (surtout pour l’ego). L’enjeu est de nous engendrer à la vie de l’Esprit sur lequel nous sommes toujours tentés de mettre la main, de sorte que, au lieu de rejoindre l’Esprit « là où nous entendons sa voix », nous cherchons plutôt à ce qu’il vienne là où nous voulons (Ex. sp., 154). Dieu se donne au-delà des images et sa présence, pourtant éprouvée comme certaine, ne cesse d’échapper.
La contemplation de l’humanité du Christ, « porte d’entrée de sa divinité », est un chemin privilégié de la conversion des sens, en cherchant à « sentir » de l’intérieur comme Jésus lui-même pouvait sentir. Mais il faut aussi combattre les passions qui s’emparent du coeur et détournent les sens de l’amour de Dieu. Il faudra parfois « se mortifier » davantage. Plus que la haine à l’égard de soi et de ses habitudes ou passions contraires, les spirituels insistent sur l’« horreur » ou le « dégoût » du péché et de tout ce qui y conduit, de sorte que les sens eux-mêmes puissent réagir intérieurement.
 
La perte de confiance en soi et en Dieu

La spiritualité de cette époque où le rapport à Dieu se joue essentiellement dans l’intériorité d’un rapport à soi, a sans doute aidé l’homme moderne à trouver en lui-même les ressources et les ressorts de sa liberté et de sa responsabilité dans un monde aux dimensions nouvelles. Mais, paradoxalement, ou peut-être à cause de cela, a pu se développer aussi une intériorité à la tonalité bien différente, celle d’une conscience tellement vive du péché et du mal, de l’impuissance de l’homme face à sa nature pécheresse, et de la toute-puissance de Dieu et de son jugement, qu’elle en est venue à se complaire dans la douleur et le devoir de souffrir en ce monde.
Cette dernière tendance de la vie intérieure atteint son paroxysme avec ce qu’on a appelé le « dolorisme » qui marque profondément la piété chrétienne tout au long du XIXe siècle et jusqu’à il y a peu, même si elle était récurrente dès les XIVe-XVe siècles. On voit se développer une spiritualité tronquée et durcie : tout le versant de Dieu venant sauver l’homme par et dans l’amour disparaît au profit de l’humiliation et de la souffrance. La nature humaine est d’abord regardée et perçue sous sa condition foncièrement pécheresse. La transcendance écarte à l’infini l’homme et Dieu. Ici s’opère une sorte de glissement : de la haine évangélique des siens et de soi destinée à préférer Dieu en toutes circonstances, on passe à un mépris de soi qui pourra aller jusqu’à une mésestime profonde de soi. Comment dès lors trouver l’estime et la confiance en soi nécessaire à la foi ? Dieu n’est pas d’abord celui qui confond l’homme mais celui qui lui parle comme à un égal, le créant à son image. À travers ce qu’on est tenté d’appeler une « déviance spi­rituelle », ne passe-t-on pas du terrain de la vie spirituelle, vie de l’Esprit de Dieu en nous, à un terrain plus psychologique où des éléments et représentations spirituels viennent se confondre avec des tendances de vie ou de mort qu’ils spiritualisent en risquant de les durcir ? Dès lors, la haine de soi se déclinerait au sens propre d’une incapacité à se supporter, à entrer dans un regard positif sur soi...
 

L’abnégation du militant au XXe siècle


Si les siècles précédents ont privilégié l’intériorité du soi comme espace de révélation et d’intimité de Dieu et la conduite individuelle comme chemin de sainteté, c’est à présent le monde qui devient le lieu par excellence de l’expérience de Dieu. Et le concile Vatican II (cf. la constitution Gaudium et spes) fut universellement salué comme un événement majeur, en tant qu’il ouvrait l’Église au monde.
 
Un monde en travail d’enfantement
 
Mais ce n’est plus le monde au sens johannique, ni non plus le monde humaniste d’Ignace. C’est le monde inachevé, l’univers en évolution que révèlent les progrès de la connaissance scientifique et qui emplit toute la contemplation de Teilhard. C’est le monde en pleine transformation industrielle que les hommes construisent par la puissance de leur intelligence technique et la rationalité nouvelle du travail. C’est un monde en mouvement et en devenir permanent, « en travail d’enfantement » à travers des crises de développement et des conflits atroces, des décalages et des fractures considérables.
Dans ce contexte, le renoncement et la haine de soi pour une suite plus fidèle du Christ ne sont pas évoqués en tant que tels. Mais on peut pointer l’abnégation du disciple du Christ dans le monde à tra­vers le nécessaire renouvellement des mentalités d’une part, et d’autre part, le sens de l’exigence évangélique qui incombe au chrétien.

L’enfouissement

Renoncer à soi, c’est d’abord quitter l’intemporalité d’une re­cherche de perfection personnelle, pour entrer dans le mouvement d’incarnation du Fils, et descendre ainsi avec lui au plus profond du monde, de ce qui fait de chacun très charnellement l’homme ou la femme d’une culture, d’un environnement social.
Bien des hommes et des femmes de l’époque l’ont fait de mul­tiples façons. Du jeune militant qui découvre et « apprend » son environnement et les aspirations qui y naissent pour les porter, au P. Joseph Wresinski qui se met à l’écoute des familles du Quart- Monde pour leur donner une voix et tisser un peuple, c’est un même renoncement à avoir un jugement « surplombant » sur les réalités, pour prendre le temps de s’enfouir « comme le levain dans la pâte » d’une population, d’un milieu de vie ou de travail. Et c’est une manière de se former, d’acquérir, de l’intérieur, des outils d’analyse adaptés à la lecture du monde.
Temps de l’« enfouissement », dans le sillage de Charles de Foucauld ou à la manière des prêtres-ouvriers. Temps de Nazareth indissociable de l’Incarnation dès l’Annonciation. Mais temps aussi de la mise en regard constante de l’Écriture et de la vie : la vie du Christ contemplée et partagée nourrit le désir et le regard pour percevoir ce qui en indique ou en questionne sa présence là où l’on vit et agit. Cette forme d’oubli de soi donne la joie de grandir en liberté et en responsabilité.
Un renoncement corollaire est impliqué par l’ouverture sans réserve à l’autre, à l’image du Christ dans l’Évangile : le respect et la vérité, l’ascèse du dialogue sont la condition d’un véritable « partage des joies et des espoirs, des tristesses et des angoisses des hommes de ce temps ». Nourri par l’eucharistie, ce renoncement à soi dit la communion fraternelle sans éteindre les différences, et anticipe la communion d’une communauté humaine rassemblée dans le Christ.
La haine évangélique de soi est bien présente dans la construction d’un monde plus fraternel, car celle-ci appelle à s’exposer et à com­battre pour une plus grande justice, au nom de l’Évangile. Refuser tout ce qui blesse le respect et la dignité de la personne, tout ce qui rend l’ordre des hommes dépendant de celui des choses, tout ce qui écrase le pauvre et le faible, a conduit de nombreux militants (laïcs, clercs ou religieux) à faire des choix crucifiants et à aller jusqu’à subir eux-mêmes l’injustice : exclusion, dérision, humiliation... Le « au nom de l’Évangile » n’est pas souvent entendu et encore moins partagé, même par la communauté chrétienne.
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Depuis quelques décennies se développe une forte demande d’in­tériorité. Mais il semble qu’elle procède moins d’un désir religieux de connaître Dieu intérieurement, que d’un désir de se trouver soi-même, de vivre un rapport à soi plus apaisé et plus heureux : comment vivre mieux ?
Dans un contexte où l’individu a à répondre personnellement de chaque dimension de sa vie, on s’éprouve fragile et incertain, héritier ou victime d’un passé blessant, ou d’un sentiment d’échec ou de mal-être, ou tout simplement en désir de cohérence et d’uni­fication avec soi-même. Cette recherche incessante de l’expérience qui pourrait enfin fonder un regard renouvelé et heureux sur soi-même cause une sorte d’agitation, de désamour de soi, mais peut-être surtout d’illusion : croire qu’on trouvera le bonheur et la paix intérieurs dans une expérience qui met à distance ce qui nous blesse et nous agite.
Ici, l’Évangile et la tradition spirituelle chrétienne peuvent beau­coup apporter. Le Christ est la Parole de Dieu qui ne cesse de venir, de descendre dans le plus profond d’une chair d’homme animée d’un souffle, orientée par un désir, articulant une parole, blessée par le mal et le péché ; il guérit et relève les hommes à la mesure de la confiance et de l’ouverture d’eux-mêmes qu’ils offrent à sa présence. Comme pour Pierre au bord du lac, Nicodème dans la nuit, François dans la riche Assise, ou encore Madeleine Delbrêl parmi la foule quotidienne de la grande ville, c’est là où nous som­mes touchés, dans notre chair, que le Christ peut nous engendrer à la vie de son Esprit, et nous conduire dans la foi à un amour vrai de nous-mêmes et des autres, dans les limites de nos existences. Sources de tourments, elles peuvent devenir source de joie pour nous et pour le monde. C’est une autre manière de dire « porter sa croix et me suivre » ou de raconter l’expérience mystique.