« Refaire sa vie » : l’expression relève au moins autant d’une réalité que d’un impératif. Qui n’aurait pas refait sa vie aurait raté quelque chose d’essentiel dans son existence. Cette injonction révèle à quel point chacun s’estime aujourd’hui le responsable unique de sa vie, enjeu de sa seule liberté. Mais n’exprime-t-elle pas avant tout le désir d’un amour réussi ? Entre le courage de recommencer et le mirage d’une vie refaite selon ses souhaits, s’ouvre un discernement nécessaire sur l’amour invoqué et celui mis en oeuvre (Élodie Maurot).

Refaire sa vie par amour, est-ce se recevoir de Dieu ? Tomber amoureux ne se commande pas, quel que soit son âge, et cet état peut conduire à reconsidérer la qualité de sa relation conjugale ou de son état de vie. Sans recul ni échange, les forces émotionnelles ne peuvent par elles-mêmes assurer une reconstruction créative malgré toutes nos bonnes intentions (Nicole et Philippe Jeammet). C’est là toute l’ambiguïté d’un « refaire sa vie » oublieux de ce qui avait justifié un choix de vie publiquement reconnu. Voilà pourquoi la décision de quitter la vie religieuse appelle un « déliement » de la part de l’Église, afin que la personne puisse poursuivre librement sa route sans pour autant dénier la vérité de son passé (Philippe Charru). Mais peut-on échapper à l’illusion, et le faut-il ?
 
La relecture de ces trois grands mythes de la modernité naissante que sont Don Quichotte, Sancho Panza et Don Juan vient certes réactiver l’illusion tenace d’une autre vie avec ses échecs qui provoquent le rire ; mais elle relance surtout la soif toujours renaissante d’une vie plus juste, plus sûre, plus aimable et aimante, qui ouvre l’avenir (Yves Roullière).
 
La tradition spirituelle chrétienne l’atteste : recommencer sa vie, c’est d’abord entendre pour soi-même le « Suis-moi ! » que le Christ continue de nous adresser à travers les évènements qui nous touchent. Marcher à sa suite, comme les disciples, nous introduit à une relation d’amour avec le Seigneur, où se convertissent nos attachements sans avenir (Denis Delobre). Cette suite est possible même après trente-huit ans de vie immobile, comme l’infirme de la piscine de Béthesda, qui reconnaît la voix espérée en aimant celui qui le plonge dans l’eau de la vie (Bruno Régent).
 
Toute la difficulté pour Proba, cette jeune grand-mère gâtée par la vie et qui se retrouve  soudainement veuve, est justement de garder un coeur vivant et libre des attaches familiales pourtant bien légitimes. Saint Augustin lui conseille de vivre jusqu’au bout son « abandon » dans la prière, de manière à trouver la consolation spirituelle qui lui donnera d’accueillir son avenir comme un chemin avec Dieu. Ainsi, demeurer seule après la mort de son mari peut se recevoir comme une décision aussi heureuse qu’inattendue en faveur d’un compagnonnage nouveau avec le Christ (Marie-Dominique Corthier). Chez Thérèse d’Avila, l’image évangélique qu’elle a d’elle-même demeure paradoxalement le point de résistance ultime pour se renouveler dans l’amour. Devant celui qui n’est plus qu’une plaie offerte pour nous sur la croix, la sainte s’abandonne pour renaître tout entière avec lui (François Marxer).
 
À l’instar d’Abraham et de Sarah qui à 75 ans prirent la route et crurent à la promesse du Seigneur, les « vocations tardives » disent la nouveauté de l’amour qui invite à se donner à tout âge dans une vie qui ne nous appartient plus (Luc Crepy). Car ma vie n’est jamais seulement la mienne ou ce que j’en fais : elle engage beaucoup plus que moi et se tisse constamment avec d’autres dans la famille et au-delà. C’est en quoi elle touche à Dieu et nous rend responsables (Xavier Lacroix).