Ed. et trad. P. Maraval. Cerf, coll. « Sagesses chrétiennes », 2002, 301 p., 24 €.
 
Que la façon de raconter un pèlerinage ait changé au cours des siècles est normal : les hommes changent mais aussi les lieux et les rapports que les hommes tissent entre les lieux et les textes saints. La lecture de cet ouvrage éclaire le fossé culturel qui sépare la démarche des origines de celle d'aujourd'hui.
Aux premiers siècles de la chrétienté, les récits de pèlerinage sont très concrets : le nombre d'étapes, à cheval, d'un lieu à l'autre. Et les noms de chaque halte sont notés. Utile lorsque les cartes sont absentes. Arrivés sur les lieux saints, tout est saint et tout est « inventé [retrouvé] conformément aux Écritures ». D'un récit à l'autre sont vénérés le fragment de la Croix, l'écriteau, la pierre sur laquelle eut lieu la multiplication des pains, la grotte où Marie priait l'autel sur lequel Abraham s'apprêtait à sacrifier Isaac, l'endroit où se tenait Moïse lors de la bataille contre Amalec... À chaque fois, les dévotions se multiplient : il faut en prendre la bénédiction, repartir avec un peu de terre, de bois, d'eau...
Cette façon de scruter l'Écriture au premier degré faisait des pèlerinages de véritables livres d'histoire sainte sommés d'illustrer chaque scène. S'ajoutent au fil des siècles, les lieux où vécurent les Pères de l'Eglise, les grands priants, dont les tombes ou les reliques sont vénérées et sur lesquelles sont édifiées moult églises dans lesquelles se déroulent de grandioses liturgies...
Un seul texte fait contrepoint à ces engouements : celui de Grégoire de Nysse, daté de 381, qui conseille de ne pas pèleriner, au risque d'y perdre sa vertu sans rien gagner : « Comment sera-t-il donc possible à qui chemine à travers la fumée de n'avoir pas les yeux irrités (…), qu'aura de plus celui qui s'est rendu en ces lieux, comme si jusqu'à ce jour le Seigneur vivait corporellement en ces lieux et qu'il soit absent de chez nous ? »