Perrin, 2006, 402 p., 22 euros.

Un bel avenir ecclésiastique s’offrait à ce filleul de Richelieu. Armand-Jean de Rancé (1626-1700) avait le profil rêvé : prestance, savoir, ambition… Voilà
qu’en 1657 il renonce brutalement aux vanités du monde. De façon baroque et sublime, nécessairement : pas de demi-teinte, dans un siècle passionné par les conversions spectaculaires et les récits de morts édifiantes.
 En réformant le monastère cistercien de la Trappe (Normandie), Rancé va pouvoir codifier cet art de mourir au monde. Méprisante à l’égard des accommodements « gothiques » postérieurs, jugés bien tièdes, sa Règle prétend surtout revenir à la source pure, l’ascèse des Pères du désert. Elle attire d’ardents athlètes de Dieu, catégorie « champions en agonie ». Et le succès est prodigieux, car le Grand Siècle contemple la Trappe comme un Versailles pour soleil noir : étiquette implacable, jardins à thèmes, intrigues de Cour assassines et feutrées… L’Abbé suscite des polémiques passionnées ; prélats et rois prennent parti ; Rancé se voudrait loin de ces misères. Mais le moyen de se dérober ? En pleine querelle janséniste et gallicane, il en va de l’honneur, pour ce chevalier de l’Étroite Observance. Il ira loin dans sa justification des humiliations volontaires et le mépris des sciences (trop) humaines.
 Après d’illustres devanciers comme Chateaubriand ou Bremond, Jean-Maurice de Montremy parvient à rendre succulente une biographie de Rancé. Prodige ou sacrilège ? Esquisses à la Saint-Simon, coq-à-l’âne anachroniques, néologismes insolents, tout est permis, au service allègre d’un récit vigoureusement mené. Chaque chapitre s’ouvre sur une mort
célèbre, comme pour jouer au cadavre exquis, mais on entre peu à peu dans le secret de celui qui, au ciel de la spiritualité du XVIIe siècle, choisit de se dresser comme l’Ange de la « bonne mort ».
 Souhaitons qu’un ouvrage aussi tonique inspire quelque sympathie pour l’abbé de Rancé, chez qui la haine de l’existence paraît souvent étouffer le désir du Dieu vivant.