Matière hautement sensible depuis la condamnation de Fénelon, la mystique était restée sujet tabou dans l'Église catholique pendant deux siècles, tant était obsédante la hantise d'être taxé de « quiétisme ». À l'aube du XXsiècle, les travaux de Charcot sur l'hystérie avaient reposé à nouveaux frais la question de la mystique.

La manière dont les théologiens s'en emparèrent fait l'objet de cette étude bien documentée et clairement menée. L'auteur reconstitue ce que fut, un demi-siècle durant, la « bataille de la prière ». On se disputa ferme, en effet, sur la nature de l'union à Dieu. L'important semblait être de faire la part de l'homme et celle de Dieu, de l'activité et de la passivité, du naturel et du surnaturel, de l'ascèse et de la mystique. Où cesse l'effort de l'homme (l'acquis) et où commence l'action de la grâce (l'infus) ? L'auteur présente bien les camps en présence (les néothomistes et les autres) et leurs positions dans cette guerre de tranchées qui menaçait, elle aussi, de s'éterniser.

La problématique dualiste commune aux antagonistes (l'opposition entre mystique et ascèse) ne faisait que raviver les funestes débats sur la grâce et la liberté qui avaient empoisonné la théologie du XVIIsiècle. Le temps, la lassitude, les prodromes de la Seconde Guerre mondiale, la volonté conciliatrice de quelques-uns (Maritain notamment) apportèrent une sorte de point d'orgue à la querelle.

Celle-ci ne fut pas éteinte pour autant, contrairement à ce que pourrait croire le lecteur. En témoignent par exemple, après la Seconde Guerre, les tribulations du père de Lubac autour de sa pensée du « surnaturel » et bien des manières de parler, aujourd'hui encore, de la vie spirituelle. On peut regretter que la conclusion de ce précieux ouvrage, en s'en tenant strictement au dossier théologique, ne ménage pas d'ouvertures sur la manière dont la philosophie s'est emparée du débat après Bergson. Notamment dans sa manière de penser « l'amour pur » (qui est une autre manière de poser la question de la mystique) à la suite de Bremond, Nygren, Rousselot, d'Arcy notamment. Aujourd'hui, la pensée de Maurice Blanchot et de Michel Deguy par exemple, les travaux de Jacques Le Brun et de Ghislain Waterlot notamment – pour ne pas parler de Michel de Certeau qui ne fut pas qu'historien – témoignent de la vitalité de la question mystique, dans une problématique évidemment tout autre que celle qu'étudie fort bien l'auteur, mais qui a à voir avec celle de Jean Baruzi, auquel il rend justice.