Préf. S. Germain. Bayard, coll. « Spiritualité et politique », 2008, 160 p., 13,90 euros.

Les écoliers français apprenaient jadis, avec les amours de La princesse de Clèves, qu’une correspondance peut être oeuvre de fiction. Est-ce le cas avec les lettres que publie ici Annie Wellens, libraire et écrivain bien connue ? Peu importe, en fait. Oublions Madame de Lafayette et laissons-nous porter par ces échanges entre une libraire « religieuse » de La Rochelle et l’un de ses clients potentiels – sinon virtuels – qui vient d’emménager dans la ville.
Ce monsieur, attristé par un récent veuvage, et père d’une progéniture baba-cool, lit la Bible et souhaite être accompagné en cette aventure. Un gourou organisateur de « sessions bibliques » le laisse sur le bord du chemin. Notre homme est peu sensible aux fulgurances structurales du locuteur et du locuté. Plus, il est choqué par l’éviction de l’Ancien Testament lors de ces rencontres, et par la réponse qui lui est faite lorsqu’il s’en étonne : « Parce que la représentation de Dieu véhiculée par cette mentalité archaïque a fait beaucoup de mal, alors qu’elle ne nous concerne plus guère… » Ah, ce vieux fond de marcionisme qui n’en finit pas de tenailler le catholicisme ! Un peu désemparé, le néo-Rochelais écrit alors à la libraire du lieu, qu’il ne connaît pas. N’est-elle pas là, après tout, pour guider aussi ses visiteurs dans leurs lectures ? S’ensuit pendant quelques mois (les lettres sont datées de 1980) une correspondance où la libraire révèle une rare connaissance des modes de lecture de la Bible – en particulier chez les Pères de l’Église – et où les sensibilités des deux interlocuteurs sont en telle syntonie que le lecteur finit tout de même par se demander s’ils ne font pas qu’un (mais il a déjà été écrit que cela importait peu).  
Au coeur du dialogue gît l’injonction contradictoire à laquelle est confronté, à un moment où à un autre, tout lecteur de la Bible : l’envie de découvrir le texte par soi-même, comme il en va de n’importe quel ouvrage, est bientôt contrebattue par la révélation (le terme est employé à dessein) que cela ne « marche » pas. Chez celui qui signe A.B., cela devient « mon incapacité ou ma peur de devenir sujet de ma lecture ». Bonne thérapeute (A.B. la qualifiera même de « magicienne »), la libraire l’oriente d’abord vers des auteurs dont le génie leur a permis d’exprimer le saisissement par la parole biblique, Claudel au premier chef. Puis elle l’entraîne peu à peu dans un « parcours biblique » méthodique, des Pères de l’Église aux exégètes contemporains. Au fil des lectures suggérées (y compris des no­tes prises lors de conférences d’introduction à la lectio divina du regretté Philippe de Lignerolles) se dessinent des paysages qui sont autant d’appro­ches savoureuses de l’Écriture, les saveurs pouvant être aussi celles d’un irish coffee dont est donnée ici une fort belle recette. Au passage, quelques égarements politico-religieux, qui ont conduit à lire la Bible comme une paraphrase pléonastique du présent, sont remis à leur place sans méchan­ceté. Comme le rappelle la libraire, forte de toute sa culture en la matière, « l’interprétation spirituelle de l’Écriture commence par le respect du sens littéral, cette solide objectivité qui offre à tout un chacun l’hospitalité, que l’on soit révolutionnaire ou conservateur ».
Notre « lecteur désarmé » achève convalescent ce parcours éblouissant, loin des impasses où la méthode de lecture l’emporte sur la lecture elle-même. Et c’est guéri qu’il découvre que « La Bible et la liturgie sont liées dans leur genèse même » ; mais il ne convient pas, à ce sujet, d’en dévoiler ici davantage. Allez vite lire cette « correspondance » !