Cette quadrature du cercle est étonnamment atteinte par un film récent qui n’a pas vraiment eu l’écho qu’il mérite : « Qui a envie d’être aimé ? » Basé sur le livre autobiographique Catholique anonyme de Thierry Bizot et réalisé par sa propre femme, le film se penche sur les deux premiers mois du parcours intérieur d’un homme que rien ne distingue vraiment d’autres parisiens de son âge : Antoine. Heureusement marié, père de deux enfants, un garçon pré-ado de 13 ans et d’une fillette de 6 ans, avocat à succès, le personnage principal entre pourtant dans une quête intérieure. Invité par un professeur de son fils à une série de soirées sur la foi chrétienne, il s’y rend à reculons et n’est d’ailleurs pas vraiment impressionné par ce qu’il entend. Et pourtant sans bien comprendre pourquoi, il y retourne de semaine en semaine…

Pourquoi ce film est une vraie réussite ? Cinématographiquement, sans être en aucune façon génial, il est bien joué et bien enlevé. Le personnage joué par la sœur d’Antoine apporte régulièrement des intermèdes comiques bien venus. On ne s’ennuie pas tout en étant frappé par la justesse de la vie familiale qui est décrite, par la façon très allusive et fine dont un itinéraire intime est décrit. D’un point de vue spirituel, la réalisation choisit la discrétion. En réalité, peu de choses transparaissent de la progressive réponse qu’Antoine apporte à l’appel qu’il ressent très discrètement. Les rencontres dans une salle paroissiale plus glauque et poussiéreuse que nature ne sont pas du tout des moments d’enthousiasme et de conviction. Nulle parole charismatique d’un prêtre exceptionnel. Nulle rencontre avec des chercheurs de sens cohérents et séduisants. Non des êtres humains quelconques, un peu paumés mais sympathiques. Le film suggère délicatement que ce qui s’est mis en route en lui est d’abord lié à une urgence intérieure, une poussée qui ne doit pas grand-chose à des influences extérieures mais d’abord à une quête très intérieure. Deux scènes le disent bien : ce sont ces promenades du personnage en Bretagne, en bord de mer, où il s’arrête dans une petite chapelle où il reste longuement seul. On devine que le crucifix tout simple le touche et que quelque chose d’intime et d’intraduisible se joue là. On sait aussi sans que la réalisatrice éprouve le besoin de nous le dire que rien de miraculeux ne s’y produit : nulle apparition ou extase. Une plongée dans l’intériorité toute simple. Un désir de silence, une soif de sens, une volonté de se poser et de se retrouver.

Peu de choses finalement sont dites de Dieu, du Christ ou de la foi dans ce film mais elles touchent à l’essentiel : Antoine découvre l’humilité de Dieu… dans le mouvement même où il découvre sa propre fragilité. Il reçoit une paix, une acceptation de lui-même qui lui fait habiter autrement sa vie. Cette petite lumière toute simple le pousse à renouer avec son père, son frère et ses enfants. Non sans maladresses certes mais avec persévérance. Sans aucun coup de baguette magique mais réellement. Comment mieux dire que la foi ne consiste pas d’abord en un savoir sur Dieu, une liste de convictions théoriques mais en une relation qui nous fait habiter le monde et nos relations autrement, qu’elle n’est pas une superstructure niant le réel mais une présence qui change la couleur de la vie elle-même dans toutes ses dimensions ? Antoine n’est pas ‘changé’. En un sens, il est le même. En un autre, moins visible - même s’il se traduit dans la vie la plus concrète - il est autre. Il habite autrement sa vie. En un sens, rien n’a changé : il a le même métier, la même femme et les mêmes parents et enfants, et pourtant quelque chose a bien changé. Il est devenu présent à lui-même ; il s’est mis à l’écoute d’une petite voix qui le tire vers lui-même. Il était statique : il est remis en route. Il était pris par son succès, il se découvre étonnamment – presque joyeusement - vulnérable. Il était en manque de quelque chose qu’il ne pouvait et savait nommer, il réussit à nommer cette source et à prendre les moyens de la rencontrer ; ‘je crois que je vais aller à la messe le dimanche matin’ dit-il in fine.

Ce n’est pas un ‘grand film’ – concédons-le tranquillement - mais la finesse et la sensibilité du scénario et des acteurs lui permettent d’être vecteur de quelque chose qui est aussi rare dans notre monde que l’eau dans le désert. Dire quelque chose de juste et d’infiniment respectueux du chemin vers Dieu d’un être humain qui nous ressemble. Montrer comment la foi chrétienne n’est pas une aliénation mais son contraire : une entrée vers soi-même. Se savoir aimé gratuitement et du coup pouvoir aimer avec plus de légèreté. Que demander de plus ?

Marc Rastoin, sj
 

La bande-annonce du film :