Éd. et prés. H. Laux.
Desclée de Brouwer, coll. « Christus », 2008, 198 p., 19 euros.


Surin est mort quelques mois seulement, semble-t-il, après avoir achevé cet ouvrage. On lui trouvera des accents d’ultima verba ; ils en font aisément un beau livre. Mais c’est plus encore : un grand livre.
Du beau livre, on signalera la composition vigoureuse, toute pédagogique. Trente-et-une questions, traitées pas à pas, rangées en trois parties équilibrées, qui invitent le lecteur à aimer Dieu, purement, parfaitement, « le cherchant en toutes choses » (I), proposent des moyens pour mettre en oeuvre ce désir (II), avant de suggérer les grâces qui jaillissent sur la route entreprise (III). Un but, un chemin, des fruits : rien de plus traditionnel, d’autant que l’auteur puise au trésor commun des Écritures, des Pères de l’Église, du Carmel, des Ignatiens… Beau livre, qui donne aux citations un impact souvent très personnel, lorsque Surin trouve en saint Paul un mystique plus qu’un théologien, ou lorsqu’il relit les Constitutions jésuites comme texte spirituel. L’ouvrage déplore la raison des savants autant que la tiédeur des prudents : pourquoi « borner l’amour », fixer des limites au cheminement intérieur ? Non seulement Surin propose d’entrer dès ici-bas dans les « faubourgs de l’éternité », les « avant-goûts de la gloire », mais, pour lui, la vie mystique est offerte à tous. Pour se traduire en action, en service, dans la liberté de l’Esprit. Voilà pour le beau livre.
Pour l’accueillir comme un grand livre, il faut savoir que l’auteur ne disserte pas sur l’aventure mystique, mais qu’il en témoigne. Au moment de mourir, invitant au bonheur de « trouver Dieu en toutes choses », il serait pathétique si cette quête n’avait pas été celle de toute sa vie ; s’il n’en avait pas récolté les fruits ; si, du rude chemin prescrit, il n’avait pas lui-même exploré les ornières les plus profondes, sous les climats les plus éprouvants, dans la nuit la plus obscure.
Pendant plus de quinze ans, retenu au cachot du désespoir et de la maladie mentale, suscitant crainte et mépris, l’homme qui traite ici de l’amour de Dieu a vécu privé de toute expérience de cet amour. Un lecteur qui ignore tout de Surin en a-t-il ici la révélation ? Nullement. Dans ce traité, Surin n’avance aucun « je », même à propos des peines qui assaillent « les meilleurs amis de Dieu »… C’est un ressuscité qui écrit, et il n’en dit rien ! Comme si, désormais – pour celui-là seulement qui a des oreilles pour entendre –, l’authenticité du chemin de croix se révélait dans la capacité à en taire la violence intime, afin d’en mieux universaliser les enseignements et l’issue lumineuse…
L’introduction d’Henri Laux, toute en sobriété, fournit d’autres indices. Ainsi le Livre III, en rupture stylistique avec les deux autres. Joie, sérénité du coeur, liberté apostolique, pour ne citer que celles dont Surin fut publiquement gratifié au terme de sa route (les autres relevant du secret du Roi) : les grâces promises à ceux qui veulent faire tout pour Dieu sont moins analysées que savourées, comme autant de fruits dont les parfums s’harmonisent. Ou bien comme un voyage aventureux : après « les passages ténébreux de la montagne » (comprenons les étapes de l’ascèse, ou la suite du Christ humilié), voici la nature en fête, la mer en majesté ! Avec des images allègres, peu maîtrisées, capables de parler à tous, le style de Surin relativise, par contraste, le rude et beau savoir transmis dans les pages antérieures : pour stimuler l’espérance, pour aviver le goût de vivre en Dieu, on peut bien baliser le chemin à prendre, l’essentiel est de chanter l’horizon promis ! Et cette liberté d’écriture manifeste à elle seule ce que Surin veut suggérer : la libération spirituelle que prépare, même de nuit, la pratique du pur amour, du pur service de Jésus-Christ. Une nouvelle langue pour ce livre, puisqu’il ouvre à la vie nouvelle.
Recevons-le d’un rescapé du monde des réprouvés, pour ranimer en nous le désir de cheminer dans la compagnie des saints.



N.B. Signalons la réédition imminente du Guide spirituel de Surin (éd. M. de Certeau, Desclée de Brouwer, coll. « Christus », 1963).