Un grand acquis de l'exégèse et de la théologie récente a été de redécouvrir l'importance de la narrativité : le genre littéraire du récit est propre à exprimer des réalités qu'un exposé froid et systématique peinerait à décrire. Plus encore, scruter les récits bibliques permet de voir quel type d'expérience spirituelle est engagé par celui qui se risque à les lire. Peut-on encore s'intéresser, après un tel tournant, à une pensée comme celle de saint Thomas d'Aquin, fonctionnant par suite de questions et de réponses, de problèmes et de solutions, chacune prise à part et comme indépendamment des autres ?

En soi, un docteur de l'Église est toujours bon à lire ou à relire, mais il pourrait arriver que cet argument d'autorité ne suffise pas. On peut également se laisser paralyser par l'imposante figure de saint Thomas ou par les dimensions non moins impressionnantes de son œuvre. Dans ce cas, lire l'ouvrage de Jean-Pierre Torrell permettra de s'approcher avec douceur du maître théologien en l'abordant par un versant moins austère. Suivant le fil de la Tertia pars de la Somme théologique, l'auteur s'intéresse en effet à chacune des étapes de la vie du Christ (ce que les médiévaux appelaient ses « mystères »), de l'Incarnation à l'Ascension. Il rend compte des développements de saint Thomas avec finesse et pédagogie, reprenant et abrégeant les analyses déjà publiées dans un ouvrage plus savant : Le Christ en ses mystères (Desclée, 1999 ; voir aussi, du même auteur, la traduction et le commentaire de la Somme théologique, dans Le Verbe incarné en ses mystères (Q 27-59), Cerf, 2003-2005).

La notion de « mystère » souligne un fait qui ne contredit pas l'approche narrative mais la complète : tout événement de la vie du Christ peut être scruté en lui-même, comme on étudierait le détail d'un tableau. Éclairé de surcroît par une tradition patristique que saint Thomas maîtrise comme nul autre, il devient alors une porte ouvrant sur les profondeurs de l'identité du Christ, du dessein bienveillant de Dieu et parfois des relations trinitaires. Signalons pour finir deux autres vertus de cette introduction : d'une part, à la répartition et au vocabulaire parfois trop techniques de saint Thomas, l'auteur substitue des découpages et des titres plus simples d'accès. De l'autre, le commentaire laisse la place à de nombreuses citations, parfois relativement longues, permettant ainsi au lecteur de goûter, sans en être saturé, au style même de saint Thomas.