Non pas un livre sur le temps, plutôt un livre sur notre rapport avec le temps. Quatre moments définissent cette articulation : d’abord le besoin, puis le devoir, le droit, et enfin le temps comme vertu. Le point de départ est impressionnant par son ancrage ontologique qui fait apparaître le statut original du temps : il ne relève ni de l’étendue, ni de la pensée ; ni de l’intériorité, ni de l’extériorité. Il est « comme quelque chose, précisément, qui n’est jamais disponible » car « chaque instant se présente à l’expérience comme symbole d’autre chose ». « Le temps fini de l’homme annonce à l’homme l’éternité. » Certaines formules doivent beaucoup à Søren Kierkegaard dont la filiation est clairement reconnue : « Se décider éternellement dans le temps afin de ne pas être irrémédiablement absent quand son temps est présent. »

Le reste de l’ouvrage est peut-être un peu moins convaincant, un peu plus convenu, un peu à la remorque des auteurs cités. Il y a cependant de très belles analyses comme celle de l’ennui défini par Giacomo Leopardi comme « la simple vie pleinement sentie, éprouvée, connue, pleinement présente à l’individu, et l’occupant tout entier ». Mais pourquoi ne pas remarquer que la formule pourrait tout aussi bien définir le contraire de l’ennui ? On ne peut s’empêcher de penser à l’admirable formule proustienne définissant dans Le temps retrouvé la littérature, la vraie vie, pratiquement dans ces mêmes termes. On apprécie l’interprétation du travail à partir du repos, à partir du sabbat, afin de donner au temps toute sa saveur, ce qui est en fait fort subversif ; de même l’on souscrit à la proposition de ne pas se contenter de reconnaître aux enfants le droit d’avoir du temps pour eux, mais aussi celui d’en avoir avec des adultes disponibles. Un livre à lire, à relire, à fréquenter : il fourmille de notations précises et pertinentes.

Alain Cugno