« Pour qu’ils aient la vie en abondance »
La vie religieuse.
Cerf, coll. « Perspectives de vie religieuse », 2010, 316 p., 27 euros.

C’est au temps de l’Exil que le peuple de l’Alliance reçut de Dieu, à travers la parole des prophètes, les plus pressants appels à la conversion en même temps que les plus beaux encouragements à l’espérance. Toutes proportions gardées, on peut penser que Jean-Claude Lavigne joue ce rôle de prophète aujourd’hui, en ce temps de crise que semble vivre l’Église en Europe, crise qui touche de plein fouet tout spécialement la vie religieuse, qu’elle soit masculine, féminine, monastique ou apostolique. Enraciné dans la tradition séculaire dominicaine, l’auteur, qui a été directeur général d’« Économie et Humanisme », a une expérience diversifiée de la vie religieuse, qu’elle soit conventuelle ou apostolique, comme frère, prieur, formateur, en France ou en Afrique. Nombreux aussi sont les mouvements d’Église, les monastères, les congrégations religieuses qui ont apprécié sa parole. Son oeuvre semble être le fruit à la fois de sa réflexion, de sa prière et de toutes ses rencontres. Le résultat est un livre passionnant, à la fois théologique et spirituel, qui ne quitte jamais la réalité de nos vies. Au milieu des difficultés de la vie religieuse traditionnelle (statistiques en grande baisse, diversité grandissante, vieillissement) et des défis des communautés nouvelles, la vraie question n’est-elle pas « la traduction pour notre temps, nos cultures, dans nos réalités économiques et politiques, de l’Évangile et de l’amour de Dieu » ? C’est la question que se pose tout disciple du Christ, tout membre du peuple de Dieu, quel qu’il soit. Peut-on, dans ces conditions, dire encore la spécificité de la vie religieuse dans l’Église et le monde ? Eh bien oui : la clé, nous dit l’auteur, c’est l’« écart » : « un écart pour la vie », « un écart fertile ». « L’écart fertile est la posture même de Jésus : par rapport à la Loi, par rapport au culte du Temple et au Sabbat, par rapport à son peuple… Jésus n’a de cesse d’être dans sa société, mais en y créant un espace qui permet aux humains de recevoir une parole de vie, de devenir plus libres, et d’expérimenter leur statut de fils et filles de Dieu sans crainte et sans hypocrisie. » L’écart pourra bien être « prière », « voeux », « service d’Église », « diaconie », et, plus que tout, au centre de tout, « vie commune » qui est « chemin vers la vie fraternelle » – vie fraternelle qui a en elle-même une dimension prophétique de « contestation », d’« annonciation », de « visitation ». Il s’agit ni plus ni moins d’un art de vivre, d’une sagesse, et « mettre l’accent sur la sagesse qu’est l’art de vivre en religieux, c’est insister sur la paix comme réconciliation, le partage comme chemin de fraternité, une disponibilité à Dieu, un recentrage sur ce qui n’est pas un effet de mode ou des vanités fugaces. C’est donner de l’importance à une simplicité dans la consommation, au silence paisible et refuser ce qui détourne des frères ou des soeurs. C’est aussi choisir un rythme d’existence qui concède le moins possible à la superficialité et à l’immobilisme ».