Desclée de Brouwer, coll. « Patrimoine vivant », 2006, 110 p., 20 euros.

Manifestation matérielle des relations de l’homme à la mort, des questions de sens et de croyances en l’Au-delà, l’art funéraire se déploie sous tous les horizons depuis les temps immémoriaux. Paradoxalement, il est aussi l’expression des relations entre les vivants eux-mêmes. Après un résumé très succinct et très didactique des sarcophages païens et chrétiens de l’Antiquité et du HautMoyen-Âge, Xavier Dectot en vient très vite à la période dont il est spécialiste : le milieu du XIIe siècle. Deux phénomènes en font une période charnière pour l’histoire des monuments funéraires. Le premier : les conceptions de Suger en matière d’art monumental, mises en oeuvre dans la construction du chevet de l’abbatiale de Saint-Denis. Le second repose sur l’évolution des mentalités et des conceptions religieuses envers l’Au-delà, en particulier l’émergence d’une incertitude.
Ce dernier trait est particulièrement intéressant, car il touche l’histoire de la spiritualité. Si l’avènement du Purgatoire, lieu intermédiaire entre Paradis et Enfer, est bien connu grâce aux études de Jacques Le Goff, l’auteur le présente ici comme source d’une nouvelle forme de tombeaux. Entre commémoration et salut, les puissants se font enterrer dans l’église même, à la frontière de l’espace des fidèles et de l’espace liturgique, assurés d’être, au coeur de l’office, présents dans toutes les processions. Par la suite, cette irruption dans l’espace liturgique suscite elle-même de nouveaux statuts et décors, car tous ne peuvent accéder à un lieu aussi prestigieux. Apparaissent alors les enfeus au décor complexe et à l’élan vertical comme celui de Dagobert à Saint-Denis. Si le gisant lui-même varie peu, les flancs du socle qui le supporte offrent plus de liberté : les anges emportent l’âme au ciel, tandis que sur terre des cortèges funéraires accompagnent le corps…
À compter des XIVe et XVe siècles, la théorisation du Purgatoire et l’évolution des rapports urbains et sociaux pressent l’activité des ordres mendiants et des fondations pieuses : le phénomène funéraire devient une véritable entreprise. L’ouvrage documenté et illustré de Xavier Dectot s’arrête sur cette fin du Moyen-Âge, au moment où les tombeaux, en quête de monumentalité, refléteront de plus en plus les réseaux d’alliances et la puissance relative d’une famille ou d’un groupe, au détriment de la dimension spirituelle.