Pierre Kanis de Nimègue fut recruté par Pierre Favre à Cologne, trois ans après la fondation de la Compagnie de Jésus. Petit génie théologique, maître ès arts à 19 ans, ce jeune homme (23 ans) animé, lui aussi, par un puissant amour de l'Église, allait, sous la conduite de saint Ignace et de ses successeurs, déployer un zèle apostolique impressionnant dans l'Allemagne en proie aux démons de la corruption ecclésiastique et de la violence religieuse. Écrivain prolixe, prédicateur, professeur, recteur d'universités, conférencier, directeur spirituel, fundraiser et voyageur infatigable, il sillonna l'Allemagne, la Hongrie et la Pologne pour répondre aux innombrables demandes et prévenir les incendies. Il fallait mettre en œuvre le concile de Trente. Ses catéchismes ont fait sa gloire, ainsi que les dix-huit collèges qu'il réussit à créer dans des conditions extrêmement difficiles. Supérieur provincial quatorze années durant sur un territoire qui allait de Prague à Innsbruck, conseiller des princes et des dignitaires ecclésiastiques, il fut de tous les colloques et Diètes de l'époque (pp. 111-112).

La plume alerte de Pierre Emonet dresse un tableau suggestif de l'effondrement du catholicisme dans ces États déchirés par les conflits politiques et religieux, inextricablement (pp. 115-116). Mais son plus grand mérite est sans doute de rendre vivante et sympathique la figure austère de ce cardinal impressionnant de science et de sainteté : un « vrai Hollandais », « solide, tout d'une pièce, sans grande imagination, acharné au travail, résistant à l'extrême, avec une certaine rudesse », « sensible à la misère des autres, toujours prêt à partager » (p. 14). Certains ont vu en lui un « marteau des hérétiques », alors qu'il invitait le Saint-Siège à la modération envers les protestants : il craignait, par exemple, que saint Charles Borromée ne fût un « médecin trop rigoureux pour les Suisses » (p. 132).

Aux sources de cette activité, une vie spirituelle intense, nourrie non seulement de devotio moderna, comme le signale le père Émonet, mais directement aux sources de la mystique rhénane et flamande, dont la chartreuse de Cologne se faisait alors le centre de traduction et de diffusion pour l'Europe latine. En juin 1543, moins d'un mois après son entrée dans la Compagnie naissante, il avait publié, sous le pseudonyme de Petrus Noviomagus (Pierre de Nimègue), une édition de Jean Tauler en allemand moderne. Les Institutions taulériennes furent longtemps « le » classique de la mystique rhénane. L'énigme du pseudonyme ne fut définitivement levée que récemment. Ainsi, le premier ouvrage publié par un jésuite fut un recueil de mystique rhénane écrit pas un dominicain !