Il sera assez simple de répondre à cette question par deux postures caricaturales : 1. « Bien sûr que oui, c'est possible : tant et tant de générations les ont vécus ; et surtout, Dieu est fidèle. C'est lui qui appelle. Il suffit de lui faire confiance, de s'abandonner aux heures de doute et de crise, qui sont autant de tentations pour que notre foi se fortifie » ; 2. « Impossible. Ou alors, il faut être aveugle, frustré. La vie change tellement vite, l'avenir est plus incertain que jamais : ce serait une illusion de s'engager ainsi. Et puis, les ordres religieux ne sont pas forcément en très bon état... Surtout, comment peut-on y réaliser sa vie affective, ses désirs ? »
Ces deux discours, que chacun peut complexifier à volonté, nous les connaissons bien et nous sommes capables de les tenir. Peut-être même l'avons-nous fait par moments... Alors, comment réfléchir à la possibilité d'un engagement religieux définitif, au sein de notre société, avec les générations que nous sommes ? C'est à cette gageure que nous allons tenter d'apporter des éléments de réflexion.


L'individu moderne dans ses « tribus »


Une analyse encore répandue des évolutions actuelles consiste à souligner la montée du privé et du narcissisme contre les institutions... Les sociologues observent plutôt un changement des formes institutionnelles, à commencer par la famille, jusqu'à ce que Michel Maffesoli appelle les « tribus » 1, concept évoquant l'horizontal, le fraternel, l'émotion, l'adhésion identitaire. Mais alors, qui est le sujet qui provoque ces changements dans les modalités d'adhésion ? Peut-on le caractériser ? Nous partons en effet de l'hypothèse qu'il n'est pas tout à fait comme hier, que des spécificités, liées à la modernité, peuvent se dégager. A travers le concept d'individu démocratique, idéal-type qui marque, peu ou prou, chacun, proposons quelques indices :
    • il choisit sa vérité. Non pas tant la chercher (ce qui serait le propre du philosophe, du scientifique) que la choisir. Devant l'importance de l'offre d'informations, en tout domaine, il fait le tri, adapte, rassemble. Ceci est vrai du rapport à la connaissance scientifique comme du religieux, de l'amour, etc. Choisir sa vérité, c'est, par exemple, savoir qu'il est dangereux, éventuellement mortel, de rouler trop vite, tout en aménageant ce fait avec « sa qualité de conduite », la puissance de sa voiture ; c'est croire au nécessaire tri des déchets pour laisser à nos enfants un monde habitable, mais estimer qu'en telle ou telle circonstance je peux tout mettre dans le même sac, car « ce n'est pas grand-chose, et tant qu'il n'y a que moi dans le quartier »... Bref, chacun bricole sa vérité. Non tant par paresse ou compromission avec son confort que par souci identitaire. La vérité que je constitue, que j'assemble, ne doit pas venir semer ou renforcer le trouble en moi. Elle doit s'adapter à moi, quitte bien sûr, à ce que je fasse preuve de souplesse pour l'accepter, mais sans me rompre. Nous pourrions ici faire de longs développements à propos des comportements sexuels et de l'épidémie du sida, par exemple. La sélection n'est donc pas simple et porte avec elle cette question essentielle de la nécessaire clôture identitaire. Il faut savoir bricoler avec art.
    • Il choisit sa morale. Dans la logique individuelle qui est la nôtre, chacun est censé forger ses propres lois morales, alors que, jusqu'ici, la société nous la transmettait et savait l'imposer. Maintenant, il en va de la discussion, du compromis, des négociations. L'exigence de vivre ensemble est réelle et pas forcément masquée, mais, en même temps, chacun doit pouvoir faire ce qu'il croit être le plus authentique pour lui... Regardons les débats sur l'euthanasie, révélateurs parmi d'autres, de cette double contrainte : on doit pouvoir décider selon ses idées, mais des normes implicites du « vivre en commun » demandent aussi à être honorées.
    • Il choisit ses liens sociaux. Dans les sociétés traditionnelles, le lien est contraint. Naissant et grandissant dans tel type de milieu, des relations se trouvent là, données ou imposées, avec lesquelles il faut composer, quitte, bien sûr, à s'y opposer. Désormais, en caricaturant quelque peu, ce n'est plus le lien social qui détermine l'individu, mais l'individu qui choisit ses liens sociaux. Liens forts, affectifs, d'amour, d'amitié, de solidarité ; liens « faibles », relations éparses, notées dans le carnet d'adresses et pouvant s'avérer essentielles, par exemple lors de la recherche d'un emploi. Le lien social qui s'installe le plus durablement sera celui qui permet au sujet de ne plus s'interroger sur soi — et de ne plus avoir à s'évaluer sans cesse, apprécier l'autre, s'assurer de sa performance, de sa compétence. D'où l'importance, aujourd'hui, des relations amicales, plus « ré-assurantes » que celles du couple où l'évaluation du partenaire est inévitable au nom des enjeux identitaires forts qui sont attachés à la vie amoureuse et familiale.
    • Enfin, il choisit son identité. Le choix identitaire est la clé de voûte qui tient toutes les décisions. Pour cette raison, il est, en théorie, le plus éloigné de la critique rationnelle ! La modernité enjoint à l'individu de développer son autonomie subjective, notamment sous la forme d'un projet d'existence. Il ne suffit plus d'être soi, il faut devenir ce que l'on a projeté d'être « Nous sommes désormais sommés de devenir les entrepreneurs de nos propres vies » 2. Il s'agit véritablement d'un nouveau régime de la singularité, fondé sur la capacité à se projeter dans l'avenir et à choisir cet avenir. La société ne joue plus le rôle d'autorité déterminant les identités, elle ne peut qu'offrir des supports qui facilitent le travail individuel de fermeture de soi. Car, en effet, il faut à la fois être en projet, s'ouvrir, mais, dans le même temps, l'individu ne peut vivre sans une enveloppe suffisante qui le ferme, une clôture de soi, un sentiment de complétude suffisant pour dire « je ». Ce type d'affirmation identitaire des individus est une problématique moderne. Et les travaux d'Alain Ehrenberg 3 ont su montrer que si cette fermeture ne peut s'effectuer dans des conditions suffisantes, alors tout est bon pour former cette indispensable enveloppe, notamment des pratiques d'addiction : alimentation, drogue, travail, sexualité « débridée », etc.
    • On soulignera, pour compléter ce rapide tableau de fond, que cette identité se constitue selon un mouvement que François de Singly nomme, non sans humour, le « tic » et le « tac » 4 « Tic » de l'individu seul, « tac » de l'individu avec. L'individu seul s'enferme dans sa chambre pour écouter sa musique et ouvre le frigo pour composer son repas ; l'individu avec accepte le compromis pour l'émission de télé regardée ensemble ou pour le choix des vacances.
Mais ce sujet humain, sommé en quelque sorte d'être l'artisan de lui-même, a forcément du mal à s'ouvrir et, en même temps, à s'identifier. Il est souvent en quête depuis longtemps de ses improbables frontières. « Comment envelopper quelque chose qui ne cesse de se modifier ? », demande Jean-Claude Kaufmann 5. Ainsi, l'incertitude de la définition de soi et la fatigue qui en résulte sont une réalité qui n'est ni marginale ni transitoire.


A contre-courant


Telles sont donc les caractéristiques qui nous constituent et marquent les générations qui entrent aujourd'hui dans la vie religieuse. On ne peut donc penser sans elles la possibilité de voeux définitifs. Or que voit-on d'emblée ? Que la vie religieuse paraît avoir tout faux ! L'engagement définitif s'annonce donc difficile. En effet, là où il est requis de choisir sa vérité, de définir sa morale, de choisir ses liens, de se forger une identité, la vie religieuse propose a priori le contraire. Elle fait entrer dans une tradition, une généalogie, une fraternité, un « déjà-là » des liens à assumer, accueillir, plus qu'à inventer. Elle offre un récit fondateur lié à une interprétation déjà vécue par des hommes et des femmes de l'évangile du Christ ; là se trouve ce qu'elle pense être la vérité. Et la profession temporaire est ce temps pour s'instruire de cette vérité, y inscrire ses pas, afin d'aller dans et vers la seule vérité qui soit pour l'Eglise : le Christ.
Une vie religieuse qui propose des moeurs : vie fraternelle, place du silence, ouverture du coeur, rapport aux biens, etc. Difficile alors de penser inventer sa façon de vivre... Et, « pire » que tout, elle ose explicitement offrir une identité, celle de soeur, de frère, de compagnon, de fils et de fille ! Une identité non seulement donnée, mais, par-dessus le marché, décentrée de l'ego, car soeurs et frères d'autres, compagnons d'autres, fils et filles d'un Autre. L'identité se dit dans la relation d'altérité plus que de ressemblance, et non d'abord dans une affirmation de soi. Elle semble vraiment mal partie pour qu'il soit humain d'y risquer toute une vie ! Pourtant, avant de reprendre les points évoqués, notons qu'elle peut être une chance, mais aussi un piège et un leurre
Ces requêtes de la modernité sont en effet difficiles, insécurisantes. Sans cesse devoir choisir, s'affirmer, s'identifier, dans la souplesse nécessaire à la nouveauté de la vie, est chose austère et psychiquement bien lourde. Et cette demande est tiraillée par le besoin d'enveloppement, manifesté, entre autres, par la nécessité de conformité à des groupes éphémères et électifs. Or la vie religieuse peut être perçue comme une de ces « tribus » qui confortent et rassurent. Elle est fortement identitaire, ritualisée de « tic » et de « tac », fraternelle et chaleureuse, marquée par le présent... Elle pourrait donner l'illusion que les angoisses existentielles et l'affrontement à l'avenir s'en trouveraient résolus. L'engagement religieux court toujours le risque d'être une fuite du monde, certes, mais aussi de nous-mêmes, dans cet inédit contemporain que sont le « moi » et la peur qu'il engendre.


L'engagement jusqu'à la mort


Proposons maintenant des points de réflexion pour signifier que l'engagement jusqu'à la mort 6 est possible :

• L'identité et le don. L'identité dans la vie religieuse n'est pas donnée sous prétexte que l'on revêt l'habit ou que l'on reçoit des constitutions Encore faut-il lui donner sa propre forme. Le « jeune » 7 religieux est dans un double mouvement : recevoir, avec cette grande chance que ce qu'il reçoit soit explicité par la formation et la vie commune (contrairement à l'influence sociétale). Entrer, donc, dans une tradition qui le précède, et la faire sienne à partir de sa singularité, de son mystère, de sa relation unique au Christ, de son histoire affective, sociale. S'engager jusqu'à la mort, c'est recevoir son identité d'un autre et d'autres, et, en même temps, avoir l'audace et le courage de lui donner une forme unique, celle de chacun.
Ceci rejoint ce que les sociologues appellent le « nécessaire travail d'enveloppement ». Mais enveloppement ne veut pas forcément dire repli ; il peut aussi signifier créativité ou générosité. Mais alors, une condition s'impose : que le corps institutionnel (l'ordre religieux, la communauté) soit capable de reconnaître cette singularité, de l'aimer, de la désirer. Qu'il en assume le risque, clairement, comme la chance de demeurer vivant. Que la communauté signifie qu'elle lui est nécessaire pour être elle-même fidèle à son récit fondateur. Faire confiance, afin que la pleine mesure de la générosité du profès simple lui soit révélée par ses frères et qu'il puisse consentir à la livrer. S'engager jusqu'à la mort suppose que le corps qui reçoit cette promesse accepte avec gratitude d'être modifié, déplacé, remis en cause, par l'incarnation singulière du récit fondateur effectué par cette ou ce jeune.

• Choisir sa vérité et recommencer.
Choisir sa vérité, tel n'est pas franchement le cas du religieux. Et pourtant. Le chrétien, aime à dire Gianni Vattimo, est un grand douteur... Car seul le Christ est notre vérité et notre vie. Chacun de nous, y compris le profès solennel de longue date, effectue sa recomposition, son bricolage. C'est si vrai dans notre rapport à l'évangile, bien avant notre accommodement avec les constitutions ! Alors, comment dépasser cela sans nier les choix humainement inévitables ? Sans doute en reprenant l'adage de Xavier Thévenot : « Circulez ! » La question n'est pas de tout honorer, à tout moment : ce serait présomptueux, prétentieux, inhumain sans doute. Par où la vie, le doute, la remise en cause, passeraient-ils ? L'enjeu est de ne rien occulter. En particulier concernant les voeux, la vie fraternelle et régulière, la réalité de l'engagement apostolique 8. La vérité,' c'est alors de reprendre ce qu'on a un temps perdu de vue. C'est de revenir. La vérité, c'est de recommencer.
Et là, peut-être, se trouve une deuxième clé pour rendre l'engagement possible : la vertu de recommencer. Vertu qui fait passer de la tribu à l'institution. S'il est vrai que nous sommes beaucoup dans l'éphémère, que compte le maintenant, l'expérience hic et nunc, il est alors d'autant plus essentiel de recommencer. D'accepter et de comprendre en sa chair qu'une fois ne suffit pas, ni la générosité d'un jour, ni d'avoir vécu telle expérience spirituelle, ni de s'être déjà engagé dans le passé... Ni même d'avoir une fois lu la Bible. Le mystère est dans le recommencement. Car il dure, le temps, le temps de la vie, le temps qu'il faut pour qu'une conversion, un retournement, se creuse en nous. Il en appelle à la patience, afin qu'une relation marquée par l'absence, le silence, le doute, s'affermisse et nous bouleverse de fond en comble. Il va de commencement en commencement, le temps qui construit l'amour et nous déloge de nous-mêmes. Sans doute dure-t-il toute la vie. Le voyageur avisé qui se croira arrivé dira : « Aujourd'hui, je commence » 9.

• Choisir ses liens ou se lier ? La vie religieuse, espérons-le désormais, n'empêche plus les amitiés particulières. Comme le rapporte Timothy Raddiffe dans une ses lettres : « Je n'ai rien contre les amitiés particulières, c'est aux inimitiés particulières que je m'oppose... » Mais tout n'est pas réglé, loin s'en faut. S'il y a bien un choix des liens en entrant dans telle famille religieuse, monastère, communauté, ensuite, tout se complique. Comment pouvoir choisir les liens donnés ? Là encore, non sans singularité. Aimer tout le monde fait toujours courir le risque de n'aimer personne avec un coeur de chair, dans l'engagement de tout l'être Comment l'existence va-t-elle pleinement se trouver réalisée au sein de liens non choisis, codés pour une part, marqués par le célibat et la chasteté, et principalement unisexués ?
Et il ne suffit pas de penser qu'en accueillant seulement des bien portants affectifs, libres de tout désordre émotionnel apparent, les difficultés seront réglées (il faudrait déjà y regarder de plus près)... Et puis surtout, la finalité de la vie religieuse n'est pas l'équilibre, mais la perte au profit de la vie plus humaine des autres. Eue passionné pour aller manger et boire avec les publicains et les pécheurs, donner sa vie pour ses amis, ne semble pas un excellent critère de pondération. La bonne question serait : « Es-tu heureux ? Heureux d'un amour sans mesure qu'est celui du Christ ? L'amitié avec le Christ, sa quête, te rendent- elles plus vivant, sont-elles comme une demeure où habiter ta vie durant ? Es-tu heureux de t'embarquer ainsi dans une aventure dont la Bible nous apprend combien les paysages rencontrés signalent les méandres, les heures désespérées, les reniements, mais aussi une qualité de joie et de sûreté que rien ne paraît pouvoir égaler ? »
La justesse de la réponse suppose l'engagement d'un corps, son corps. L'idéal de la vie religieuse peut paraître magnifique : aimer de façon désintéressée, ne pas vouloir posséder, être heureux de la liberté de l'autre... Que de choses qui vont se répétant dans les années de formation l Mais, aux heures de crise ou de vérité, ne vient-il pas à l'idée ou ne revient-il pas à la vive mémoire (c'est selon) que rien n'est plus vrai, humain, que deux corps qui s'abandonnent s'aiment s'unissent ? Qu'une femme et un homme qui transmettent la vie, la vraie, loin des discours parfois convenus sur la fécondité de la chasteté continente ?
Il faut accepter ces questionnements en face, sans trop de faux-semblants. Cette confrontation nécessite je pense que nous puissions en effet donner tout son sens, sa gravité, sa beauté, à la vie amoureuse et à la relation parentale. Sans les idéaliser, ce que nous faisons par moments. Nous renonçons là à un lieu unique de rencontre, de plaisir, de transmission. Oui, nous y renonçons. Et la décision en faveur d'un engagement religieux définitif ne peut se dispenser de ce renoncement. Renoncer ne signifie pas fatalement se rabougrir, se dessécher ; il s'agit de renoncer, au nom de cette quête insatiable, irrésistible, du Christ. Une quête qui rend sensible, comme tout amour ajusté, émondé, qui fait devenir plus humain et heureux. L'engagement religieux demande un engagement du corps afin d'aimer en notre chair, pourtant marquée par une redoutable absence, afin d'espérer donner corps à la passion du Christ pour ce monde. Sur la croix, le corps de Jésus de Nazareth s'est fait le sacrement définitif de la proximité de Dieu. L'engagement religieux jusqu'à la mort espère rendre compte que des vies, vivantes et fragiles, peuvent faire signe de cette présence-là. Alors, il ne s'agit plus de choisir ses liens mais, bien plutôt, de se lier... Tel est le propos de l'obéissance promise.
Une condition essentielle, au moins : que la communauté puisse être le lieu où la vulnérabilité, les échecs de chacun sont accueillis. Il ne s'agit pas de raconter sa vie, mais de pouvoir sentir que l'on est reçu tel qu'on est. Non pas espérer un confort affectif, ni même psychique, que le Christ n'a pas promis, mais une fraternité marquée de respect de délicatesse de miséricorde et d'espérance Sans cela, comment trouver la sécurité suffisante pour justement se décentrer ?
Dès lors, si les problématiques contemporaines autour des liens, de l'identité, du rapport à la vérité comme aux moeurs, peuvent être assumées et déplacées, il est possible, et surtout heureux, de pouvoir s'engager jusqu'à la mort.
Cet engagement est générateur d'espérance pour celles ou ceux qui le reçoivent avec gratitude, car sans mérite de leur part, et qui en deviennent ainsi également responsables. Espérance fondamentale pour la personne elle-même 10. Espérance qu'il est possible de se déterminer, y compris avec ses parts d'obscurité. Que donner cohérence à une existence avec tous ses chaos, n'est pas acte impossible, mais qu'il exprime un pouvoir sur soi-même, bien qu'il demeure relatif. La profession religieuse, comme toute promesse pour la vie, ramasse le temps passé et l'avenir, elle est prise de position par la décision d'engager un avenir, sans prétendre la maîtriser. C'est parce que cet engagement est précis (profession solennelle dans tel institut, tel monastère) qu'il est juste. C'est en s'inscrivant dans une histoire contingente d'hivers et de printemps, marquée par les fragilités de la personne et celles de l'institution, que les voeux définitifs pointent vers celui qui a traversé les ténèbres pour être relevé de la mort. La vie religieuse n'est pas d'abord un « style de vie ». Elle est la promesse qu'une vie, dans toutes ses dimensions, peut être passionnée, tendue, déchirée peut-être par le Christ et son amour pour le monde des humains. Elle se trouve ainsi, non pas comblée, mais creusée par ce désir qui ne finit pas. L'engagement religieux jusqu'à la mort est la réponse à la question : « Qui cherches-tu ? » Celle et celui qui font profession jusqu'à leur dernier souffle partagent cette réponse avec bien d'autres chrétiens. Au coeur des aléas de l'existence, de ses détours, c'est elle aussi qui comptera.



1. Cf Le temps des tribus, La Table ronde, 1 988
2. Alain Ehrenberg, Le culte de la performance, Calmann-Lévy, 1991, p 16.
3. L'individu incertain (Calmann-Lévy, 1995) et La fatigue d'être soi (Odile Jacob, 1998)
4. Cf. Libres ensemble, Nathan, 2000.
5. Cf Ego, Nathan, 2001.
6. Cette expression me paraît plus juste que « perpétuel » Dans l'eschatologie, selon Paul, il n'y aura plus ni homme ni femme, ni homme grec ni juif Donc, ni religieux ou religieuse sans doute ' « Jusqu'à la mort » dit mieux le sens d'une temporalité marquée par la fînitude Enfin, dans nos sociétés civiles, « perpétuel » veut plutôt dire un « temps limité » pensons seulement aux condamnations perpétuelles, qui voient, heureusement, les détenus sortir au terme d'une vingtaine d'années
7. Terminologie plus que relative aujourd'hui
8. Ceci me paraît aussi vrai pour les vies religieuses dites « contemplatives ».. 9. Cf Guemc d'Igny, Sermon V pour l'Avent.
10. Voir le magnifique texte de Jean Ladrière dans L'éthique dans l'univers de la rationalité (Artel-Fides, 1 997) et repris dans VEncyclopcedia Umversalis, art. « Engagement »