Bayard, coll. « Christus », 2006, 143 p., 15,90 euros.

La modestie du titre cache l’ambition du propos : réhabiliter le sens de la tradition chrétienne, au moment où chacun prend acte de la rupture de transmission qui affecte plus encore l’Église que la société. Le chemin est étroit, entre les versants du traditionalisme qui urge un retour rigide aux observances et de l’individualisme des francs-tireurs spirituels. Mais l’enjeu est tel que notre auteur, supérieur du séminaire de l’Institut Catholique de Paris, s’en trouve stimulé. Tandis que d’aucuns abdiquent toute intelligence pour se livrer à une lecture fondamentaliste des textes, et que d’autres ressassent leurs vieilles questions sur l’Église, sa hiérarchie et sa discipline, le ton est donné d’emblée : après son Petit christianisme d’insolence (Bayard, coll. « Christus », 2004), ce Petit christianisme de tradition n’a rien d’un retour au conformisme ; l’insolence est toujours de mise, vivace et fraîche, comme un pas de côté qui laisse place à la pensée.
Sur ce ton s’enchaînent les thèmes : qu’entend-on par Parole de Dieu ? À quoi bon le dogme ? Pourquoi l’Église ? et les prêtres ? et les sacrements, en particulier celui du pardon ? Superbe chapitre qui nous vaut des développements fort actuels sur la réconciliation avec Dieu et avec soi-même, sur l’importance de l’aveu et sur la dimension politique du pardon. Le tout encadré par deux chapitres alertes sur la prière en temps de précarité et sur les jeux infinis de la grâce : « La tradition n’est pas le carcan qu’on voudrait en faire, mais le libre jeu sans cesse renouvelé d’une interprétation de l’Évangile au sens musical du terme, jeu d’échos et de résonances dans lequel se croisent les voix du passé et les questions du présent, jeu concertant de répétitions et d’inventions. » C’est dire à quel point la tradition n’est pas seulement « réception », accueil dans un coeur confiant et une méditation priante comme au sein de la communauté croyante, mais qu’elle est encore « transmission », annonce et communication : elle est l’Évangile lui-même annoncé, expliqué, donnant sens à la vie et nourrissant l’espérance des hommes par une invention permanente d’expérience et de langage.
Avant d’être un contenu, la tradition est un acte, une écoute confiante de celui qui transmet, en l’occurrence l’Église, et de Celui qui est le chef de sa foi. Si je crois à la parole que transmet l’Église en son nom, c’est à cause de cette incessante remontée de la vérité qui éclaire ma vie à l’événement qui l’a engendrée, de la lettre à l’esprit qui la féconde, du concept théologique à la réalité du Mystère, de l’Église au Royaume qu’elle annonce. Et si cette parole est pour moi génératrice de sens, c’est aussi parce que je la transmets, cherchant pour d’autres les mots d’aujourd’hui qui puissent éveiller leurs esprits et leurs coeurs. Incessante remontée à la source et redescente dans le langage de la vie.
Pourquoi donc si peu de chrétiens consentent à ce travail ? Pourquoi tant de sommations au Pape et aux évêques à propos de la morale et de la discipline ecclésiale ? C’est à ce « pourquoi » que le livre cherche à répondre, non par des « parce que » fatigués et agacés, mais « en interrogeant le pourquoi des résistances que les chrétiens eux-mêmes opposent à ce qui structure la foi chrétienne et à la tradition qui la porte ». Les traditions nous précèdent, et elles nous portent pour autant qu’elles sont l’objet d’une réception confiante. Or, c’est cette confiance que la modernité a secouée en contestant tout principe d’autorité. La difficulté actuelle concernant la foi et l’héritage spirituel de l’Église concerne peut-être moins la transmission elle-même que le désir de l’accueillir, « de se reconnaître héritier dans un monde qui célèbre le sacrement du présent ».
C’est pourquoi la grâce propre des chrétiens est de pouvoir donner à nos sociétés « le témoignage d’une vie transfigurée en expérience, d’un style de vie, d’un art de vivre et de mourir à partir desquels la tradition chrétienne puisse se remettre à parler à nos contemporains, en leur offrant les ressources de sa foi et de sa joie, de son intelligence et de sa sensibilité, de sa sagesse et de son histoire. » Comprendre et sentir du dedans que les énoncés de la foi, les pratiques liturgiques et jusque la discipline de l’Église sont des condensés d’expériences vivantes, tel est l’enjeu, tel est aussi la réussite d’un ouvrage auquel on souhaite une large diffusion.