J’exerce comme pédopsychiatre en Île-de-France, dans une cité de banlieue populaire et dans un gros bourg du monde rural.
En me rendant dans les dispensaires où je travaille, grosses ruches bourdonnant d’activité, me revient souvent l’image de ces folles journées de Jésus : « On lui apportait tous les malades et les démoniaques, et la ville entière était rassemblée devant la porte » (Mc 1,32-33)... Les enfants, les familles sont partout. Dans la salle d’attente, les bureaux, les escaliers : des tout-petits avec encore la tétine à la bouche, des plus grands qui dessinent avec application sur un coin de table, des adolescents bougons et encapuchonnés, des parents bien sûr, des travailleurs sociaux parfois...
Toutes les couleurs, toutes les races, toutes les situations sociales, familiales sont là, même si la gratuité des soins attire beaucoup de familles en situation précaire. Toutes les difficultés des enfants et des familles d’aujourd’hui sont représentées aussi – scolaires, comportementales, sociales –, qui me font prendre le pouls de la société française en ces deux lieux symptomatiques que sont les banlieues et le monde rural isolé. Et puis, toute la gamme des troubles pédopsychiatriques, dont les dénominations plus ou moins savantes varient avec les modes du moment, mais qui recouvrent toujours les mêmes souffrances (dépressions, névroses, psychoses, autisme, troubles addictifs, etc.).   

 Cour des miracles ?

Des miracles, il y en a bien...    Tout à coup – dans l’animation d’un dialogue, d’un jeu, d’un dessin commenté ensemble –, un arrêt imperceptible ; un enfant immensément attentif, l’espace de quelques secondes ; un regard qui s’échange, rapide : « Quelqu’un parle, il fait clair »... Miracle de la parole, comme un fil fragile tendu entre l’enfant et l’adulte que je suis, pourtant si éloignée des rivages de l’enfance. Miracle de la relation qui devient possible entre ces parents qui vivent l’« ailleurs » de la souffrance et moi qui ne suis pas malade... Miracle d’une fraternité plus profonde que toutes nos différences, soudain révélée à moi par la grâce de cet enfant-là, de ce moment-là, de cette famille-là, quand ils m’ouvrent, dans la confiance, le plus intime, le plus vif : leur propre chair. Hospitalité réciproque dont je me sens d’abord infiniment honorée. Respect devant leur beauté, la beauté de l’éternel et universel souci des hommes et des femmes pour le petit d’homme, leur petit... Miracle encore, quand, appuyés sur ce fil ténu de la relation, des enfants, des parents osent explorer des chemins inconnus, et puis finalement se lever, plus légers, dégagés de contraintes intérieures dont il n’y a plus qu’à rire... « Des chemins s’ouvrent dans leur cœur » (Ps 83).
Moments de grâce fugaces, jamais définitifs.
C’est l’heure : l’enfant bondit, déjà ailleurs, la porte du bureau s’ouvre, une autre famille entre, une autre demande, un autre mystère...

Exposée à...


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