Bayard, coll. Questions en débat », 2004,315 p., 19 €.

Les lecteurs réguliers de Christus se souviennent sûrement d'un précédent numéro (n° 202, avril 2004) : « La paternité, pour tenir debout », où se trouve un article de Xavier Lacroix intitulé « Visages du père ». C'est peu dire que le thème est et reste d'actualité. Dans une société où les rôles sont devenus si difficiles à identifier, si « flexibles », parfois interchangeables, celui de père est en bonne place dans le souci contemporain. Les médias, qui se font largement l'écho de tout ce qui se cherche autour de la famille, marquent un intérêt tout particulier pour les pères : pères manquants, pères dépossédés, nouveaux pères, pères-mères... ; tandis que les différentes disciplines se croisent sur un thème qui touche chacun de si près : la psychologie et la psychanalyse, bien sûr, mais aussi le droit, la sociologie, sans compter les innombrables « projections » artistiques, du cinéma à la littérature.
Le prisme est donc très large, qui offre une multiplication d'histoires et d'interprétations , tout ce qui donne à voir ce qu'il en est des pères, de leur force, de leur détresse parfois, de leur génie, des surprises que réservent les hommes des temps présents, dans cette tâche qui est la leur. Des éclats descriptifs, voire prescriptifs, répondant à la question inquiète : Comment faire ? Que faire ? Comment être un vrai père, un bon père, du moins un père acceptable ?
Et pourtant, dans ce concert de voix, le livre de Xavier Lacroix apparaît profondément original ; par l'objectif qu'il se fixe et par la méthode qui oriente la recherche. De toutes ces situations contemporaines que vivent les pères, Lacroix n'ignore rien. Il sait ce qui « bouge » dans l'image du père, ce qu'il en est de la précarité des couples, de la nouvelle distribution des rôles entre hommes et femmes, de la dureté des circonstances, du déclin de l'autorité à laquelle succède la quête, parfois pathétique, de nouveaux référents, de nouveaux ascendants. Il interroge non seulement les auteurs qui en parlent, mais aussi l'expérience et ce qu'elle révèle.
Xavier Lacroix sait regarder et il sait écouter ; mieux, il apprend à regarder et à écouter. Son livre peut se lire aussi comme un exercice de contemplation et d'attention, une réhabilitation de la quotidienneté, de l'apparente banalité. Il reste continûment et scrupuleusement fidèle à l'observation, l'appelle pour vérifier ou infirmer les différentes hypothèses qui jalonnent l'analyse. Sans jamais abandonner une autre fidélité, fidélité à une intuition fondamentale qui est comme un aimant de la recherche : tenter, au-delà de la pluralité — par-delà les circonstances qui changent, selon les époques, les cultures, les structures sociales et religieuses — de trouver l'invariant, l'irréductible du lien père-enfant.
Et là, à travers même les manques, les failles, les douleurs, mais aussi, bien sûr, les lumières, il déchiffre les traces celles d'une révélation qui court d'une génération à l'autre depuis la nuit des temps, qui passe sur les hommes, leur espérance et leurs limites ; celles de la vie que nul n'invente ni ne donne à proprement parler, qui toujours conduit à se référer à cette origine que nul ne possède ni ne touche ; Présence qui est vie, Parole qui fonde la parole, signe sur tout homme de ce qui est la source de son existence. Et libre à lui de s'y rapporter ou de l'ignorer ; de la chercher, de l'implorer, de s'en détourner.
L'originalité de cet ouvrage, où philosophie et théologie se rejoignent sans se concurrencer, est aussi une forme de résistance et de courage, car elle est fondamentalement refus d'alimenter l'incertain et de consentir au flou. Le risque, pourtant, n'est pas mince : il est de se faire renvoyer dans le camp des tenants de la tradition, de ceux qui ne voient pas le monde changer ou qui refusent de le voir ; d'un autre âge en somme, dépassé, décalé, irréaliste. Mauvais procès, que Xavier Lacroix assume, non seulement dans ce livre, mais dans bien des rencontres auxquelles il accepte de s'exposer, au nom de ce qui fonde sa recherche et sa foi, avec calme et détermination, rendant dérisoire la dérision même.