Ed. et préf. Y. Roullière. Bayard, coll. « Christus », 2003, 287 p., 19,80 €.

Maurice Bellet fait partie des voix chrétiennes de notre pays depuis quarante ans. Quarante ans que ce prêtre écrit et parle de la quête chrétienne d'une manière qui ne ressemble à nulle autre, mélange d'analyse, de verve et de compassion pudique pour l'homme en quête de son humanité. Son écriture signe une intelligence acérée de la vie, des hommes, de notre Église mais plus encore laisse entrevoir le feu qui le brûle, feu de l'Évangile : dégager, aider à dégager sans fin l'accès à Dieu, au Dieu de la vie, en ce temps-ci, contre toutes les impasses, illusions et mensonges qui entravent la marche en avant des disciples du Ressuscité.
La revue Christus est l'un des lieux où ce ministère fécond de la parole s'est exercé, pendant vingt ans. Philosophe, membre permanent de la rédaction de la revue de 1965 à 1985, il en a été l'auteur le plus abondant : quatre-vingts articles. Ce qui, outre une passion, manifeste ceci : jamais la foi ne peut s'arrêter dans la recherche incessante de celui qui se tient au principe et au commencement de toute vie.
Ce livre recueille vingt textes, choisis pour ce qu'ils attestent de la traversée d'une époque et pour leur force, inaltérée Soulignons la justesse de la sélection opérée par Yves Roullière, l'actuel rédacteur en chef adjoint de la revue. Ce choix, conjugué avec la voix de l'auteur, donne une grande unité et sa pertinence à l'ouvrage. Il illustre superbement la visée de la nouvelle collection « Christus » chez Bayard : donner la parole à des auteurs de la revue ou proches d'elle, à partir du fond même de la revue ou d'une question, d'une recherche qui les caractérisent. Le titre du livre, Passer par le feu, provient du dernier article du recueil. Sa première phrase indiquera la manière de procéder de Maurice Bellet : « C'est une vérité connue de toute la tradition spirituelle : le chrétien ne peut s'installer tranquillement dans sa foi, comme un propriétaire dans son jardin. Il arrive qu'il soit éprouvé jusqu'à "passer par le feu" ; et loin que ce soit le signe d'une foi médiocre ou d'une charité molle, ce peut être, au contraire, le grand chemin. » Ce grand chemin, né de l'épreuve, est le lieu d'un travail sans cesse repris et analysé tout au long du livre. Maurice Bellet est là, dialectique et homme de foi : loin d'en rester à l'analyse et à l'interprétation de la crise, il indique la brèche pour un passage : « Ruine du Temple, sabbat de la décréation : est en suspens la naissance de l'homme. C'est seulement si la croix a cette force que l'autre versant, la vie, pourra être l'amour sans mesure et non la choses pieuse à laquelle sont tant attachés les chrétiens. Réouverture du vieux langage ! Possible écoute de ce que nous savons déjà et ne connaissions pas du tout »
A la question : « Pourquoi êtes-vous resté ? » (après le départ de la revue, en juillet 1967, de Michel de Certeau qui l'y avait introduit), Maurice Bellet répond avec Paul VI à l'issue du Concile : « Il faut tout repenser. » Qu'est-ce à dire ? Dans l'après-concile prit forme une opposition ruineuse entre sauver la foi ou passer au monde.
Maurice Bellet permit à beaucoup de comprendre en toute rigueur ce que signifiait, pour ce temps-là, « être dans le monde, dans ce monde, complètement, dans toute son épaisseur, mais pas du monde ». Car si le Christ arrive avec le feu dans le monde pour opérer une rupture qui sera toujours radicale, dit Bellet, si l'Évangile est rupture, c'est parce qu'il est don. « Convertissez-vous ! Le Royaume de Dieu est là !» Le Royaume est ce don que Dieu fait aux hommes pour qu'ils sortent de l'infinie détresse qui les hante, y compris dans la culture, dit encore Bellet.
On aura compris que ce livre est le témoin de la traversée d'une époque. Dans un article étonnant de 1965, « Périls de l'enthousiasme », l'auteur avait pressenti les tempêtes et les grands ébranlements post-conciliaires dans lesquelles notre Église entrait. Ils conduiront à cette « étrange maladie » (1974) vécue par l'institution et aux « Deux christianismes » (1984). De la manière la plus autorisée, Bellet dit cette traversée et, avec elle, comment la revue Christus, de bien des manières, se tint de ce côté-là dans l'Église de France. « S'offrir aux événements », « Falsifications de la charité », « Sommes-nous réduits à l'impuissance ? » dressent un diagnostic sans complaisance de la mue à laquelle les chrétiens étaient appelés. Les notations sur psychologie, vie spirituelle et accompagnement (1969 et 1979) demeurent précieuses. Tout comme ses grands textes : « ... Car vous commencerez par le respect », « L'aurore », « De la nécessité de s'estimer soi-même », ou encore, sur les divorcés remariés, « Injustifiables sans culpabilité ».
Le « bénéfice » du livre est donc double : il s'agit, en percevant d'où nous venons, de comprendre comment, dans le présent, les questions se posent ou restent posées. Mais aussi de prendre conscience que cette traversée est celle que chacun doit vivre. Afin que, pour moi, l'Évangile fonctionne comme Évangile, « parole toujours inentendue, toujours inouïe mais aimante, dans une confrontation la plus extrême avec ce qui fait l'homme », chemin à travers l'angoisse et ce qui, en nous, refuse la vie et la laisse se déliter de manière perverse dans la relation au Dieu vivant.