Remi de Maindreville s.j.  
 
Les pauvres nous gênent, moins pour des raisons sécuritaires hautement invoquées, que parce qu’ils nous renvoient à notre peur intime de déchoir, de tomber nous aussi dans une pauvreté inacceptable à nos yeux. Ils nous renvoient à cette part de nous-même qui échappe à notre maîtrise et qui pourrait, qui sait, nous entraîner un jour vers une vie et une mort indignes. Ils réveillent ce qui en nous est faible et pauvre, et qui parfois nous fait honte, car il arrive que cette part de nous-même non seulement nous échappe, mais nous submerge, nous attache, voire nous gouverne. Parmi d’autres habitudes, la dépendance à l’alcool est une des plus fortes qui soient.  
 

L’illusion de l’alcool ou la pauvreté cachée

Le besoin d’alcool est une pauvreté qui peut devenir une misère noire sur un plan affectif et social mais aussi matériel, tant son emprise se révèle totale. Car le propre de cette dépendance est précisément de voiler, de dénier la réalité de cette situation. Le « malade alcoolique », comme disent les Alcooliques Anonymes, ne se perçoit pas en ces termes. Au contraire : même s’il lui arrive parfois de se dire qu’il boit trop, il est convaincu qu’il peut arrêter quand il veut. Il se voit toujours maître de lui-même, alors qu’il ne peut plus se passer de la boisson qu’il absorbe.