Moins d'un an seulement après la disparition de Maurice Bellet (1923-2018), il revient à Myriam Tonus, laïque dominicaine et théologienne belge, de proposer le premier essai d'ensemble sur son œuvre. D'emblée, elle use d'une image tout à fait parlante pour décrire la dynamique intellectuelle qui a animé le prêtre diocésain, théologien et philosophe qu'il était : « Explorant les grands abîmes – celui du cœur humain et de ce que l'on nomme "Dieu" –, la quête de Maurice Bellet s'apparente, en quelque sorte, à ces carottiers qui forent le sol, en tournant lentement, afin de pénétrer jusqu'aux couches les plus profondes, au point d'atteindre des strates géologiques remontant aux origines de la Terre. »

Pour nous introduire à son travail, Myriam Tonus se livre à la fois à un exercice d'admiration tout en proximité, mais aussi de présentation construite. Sans pour autant enfermer Bellet dans une forme de système, elle essaie néanmoins de dégager une cohérence interne dans un vaste corpus de livres ou d'articles. L'exercice ne va pas de soi pour une œuvre polyphonique qui a su toucher à de nombreux domaines : théologie, philosophie, psychanalyse mais aussi littérature, économie voire politique. Si l'on n'ira pas, comme le fait avec un peu d'excès Myriam Tonus, jusqu'à le comparer à Jean-Sébastien Bach, il reste que la petite musique de Bellet, son écriture « comme un chant », a su rejoindre nombre de lecteurs. Beaucoup y ont perçu une voix libératrice, ouvrant toujours plus large l'espace du christianisme.

Quatre thèmes structurent donc cette approche. D'abord, avant toute chose, cette capacité d'écoute hors du commun. Sans être au sens strict psychanalyste, Bellet a su recevoir et écouter de nombreuses personnes. En second lieu, le sens de l'humain, la « dimension axiale » d'un travail qui sait se passer, au préalable, de tout vocabulaire religieux. C'est ce qui lui permet d'insister tant sur l'amour compris comme Agapè, à travers la relation d'un « Je » à un autre « Je ».

Impossible donc de prétendre parler de Dieu ou de quoi que ce soit de philosophique sans passer par cette prise en compte de l'humain dans toute sa densité. Mais s'il est un titre de Bellet qui s'est largement imposé aussi, c'est bien Le Dieu pervers (DDB, 1979) : il illustre en troisième lieu une dimension forte de son œuvre, née là encore de l'écoute de nombreuses personnes, se sentant coupables d'exister et victimes d'un Dieu cruel. À travers cet ouvrage, mais aussi dans sa Théologie express (DDB, 1980), le théologien se livrera à une déconstruction libératrice pour beaucoup de l'image divine, en revenant au caractère primordial de la Parole et de ce qu'il nomme le « Récit-Christ ». Enfin, insiste en finale Myriam Tonus, cette quête de Dieu se vit bel et bien au cœur du monde, avec ses dimensions délirantes, ses malaises et ses violences, ses utopies politiques ou sociales impossibles. Réfléchissant à l'avenir du christianisme, sans être antireligieux, ni anti-Église, Bellet appellera de ses vœux une « quatrième hypothèse » à son sujet, un déplacement du christianisme, au-delà de la disparition, de la dilution dans la sécularité ou du raidissement. C'est-à-dire prendre le risque d'un avenir inconnu, d'une Parole à laisser agir. Bellet continue d'influencer la réflexion d'auteurs comme celle de la théologienne Anne Lécu ou du dominicain belge Dominique Collin.